Attentats de Bruxelles : d'une photo à l'autre

Peu à peu, la photo de 'la dame à la veste jaune' a livré sa terrible histoire, entre Bruxelles et Bombay. Avant qu'une autre photo ne gomme cette scène d'horreur.

Par Ludovic Desautez

Publié le 24 mars 2016 à 15h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h33

Les attentats du 22 mars à Bruxelles ont, à leur tour, généré leur flux d'images, souvent effroyables. Au milieu de ces spectacles d'horreur, une image a plus particulièrement marqué les esprits : un cliché, pris à l'aéroport international de Bruxelles-Zaventem, dans les instants qui ont suivi la double explosion du 22 mars. Cette image, qui a fait la une de multiples quotidiens dans le monde (New York Times, Wall Street Journal, USA Today, The Guardian, Der Standard, Le Journal de Québec...), montre deux femmes assises dans l'aérogare. L'une est au téléphone avec une main en sang (on l'imagine tentant de rassurer ses proches), l'autre est prostrée, les vêtements déchirés, les cheveux couverts de poussière.

L'image de cette deuxième personne, portant une veste jaune et dont les yeux sont braqués vers l'objectif avec des filets de sang sur le visage, a cristallisé en quelques heures les événements de Bruxelles. Ce cliché, brut, interpelle à plusieurs égards : par sa violence, son caractère cru, et la détresse exprimée par des victimes parfaitement identifiables et rarement « floutées » par les médias.

Face à cette photo, un malaise mâtiné de voyeurisme s'installe. A tel point que Laurent Raphaël, rédacteur en chef de la revue belge Focus Vif, a publié au lendemain des attentats un éditorial intitulé « Madame à la veste jaune ». Le texte tente de s'excuser pour le caractère obscène du cliché. « Je vous demande d'ailleurs pardon deux fois plutôt qu'une », écrit Laurent Raphaël, « de vous avoir surprise dans ce moment d'effroi, et de vous voler une part de vous-même, de votre intimité, que je vais épingler au revers de ma veste, près du coeur, pour me rappeler en permanence combien la vie est belle et fragile. »

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Le Time, qui lui aussi a diffusé la photo avec la « dame à la veste jaune», a décidé de comprendre l'origine de ce cliché. On y apprend que la photo a été prise par Ketevan Kardava, une journaliste de la télévision publique géorgienne présente dans l'aérogare, et qui se rendait à Genève. Interrogée par le magazine américain, Ketevan Kardava explique ce qui l'a motivée à prendre ce cliché. « Je voulais courir pour me mettre à l'abri », explique-t-elle. « Mais je voulais également prendre des photos. En tant que journaliste, je devais montrer ce qui se passait. Je savais que j'étais alors la seule sur place. »

Ketevan Kardava détaille les circonstances de la photo. « Cette dame était en état de choc, elle ne parlait pas. A ce moment dans l'aérogare, il n'y avait aucun cri, aucune détonation. Cette dame regardait autour d'elle, pétrifiée par l'effroi. » Ketevan Kardava, qui n'a pas demandé l'identité des personnes photographiées (elle a également photographié le basketteur Sébastien Bellin, blessé dans l'attentat), a alors quitté l'aérogare pour se mettre dans un « lieu sûr », laissant ces victimes derrière elle.

Dans une autre interview, cette fois avec USA Today, Ketevan Kardava tente de justifier ce comportement. « Les gens que je photographiais n'étaient pas en mesure de courir, et je n'étais pas en mesure de les aider. Il était très difficile pour moi de les laisser. J'étais la seule personne sur pieds. Je voulais aider chacun d'eux, mais je ne pouvais pas. Je les ai laissés. Je le devais : nous nous attendions à une troisième explosion. Je ne sais pas comment je l'ai fait. Je ne sais pas comment j'ai pris cette photo. En tant que journaliste, c'était mon instinct. Je l'ai postée sur Facebook et j'ai écrit “Explosion ... Aidez-nous”. » Difficile de juger d'un comportement dans des circonstances si particulières. Mais le jeudi 24 mars, dans De Stantaard, Ketevan Kardava finira tout de même par livrer des excuses pour sa série de clichés.

L'histoire de la photo, qui va se diffuser sur l'ensemble du globe, n'est toujours pas terminée à ce stade. Le cliché va permettre, par médias interposés, d'identifier cette « dame à la veste jaune ». Car c'est en Inde que se trouve la réponse. Cette personne, dénommée Nidhi Chaphekar, est une hôtesse de la compagnie aérienne indienne Jet Airways. Le Times of India a retrouvé la famille, qui vit à Bombay, et qui a été plongée dans l'inquiétude pendant de longues heures. Nidhi Chaphekar, qui a été hospitalisée, est aujourd'hui "hors de danger" selon l'ambassade d'Inde en Belgique.

La photo de « la dame à la veste jaune » a provoqué des réactions très contrastées en Belgique. Le quotidien Le Soir, qui avait diffusé sur les réseaux sociaux une première une de son édition avec la photo en majesté, a été contraint de changer en urgence d'image face aux commentaires acerbes des internautes. Et comme pour défier la cruauté de cette image, un photographe basé à Bruxelles a publié sur les réseaux sociaux un cliché qu'il avait réalisé en avril 2015. On y voit deux mariés s'embrassant dans l'aéroport de Zaventem. Cette photo, qui semble issue d'un catalogue,  a été partagée et « likée » des centaines de milliers de fois. Une dame en blanc comme pour laisser tranquille « la dame à la veste jaune ».

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