Publicité

Coloriser des photos historiques « permet de construire un pont avec le passé »

Humaniser des documents d'archives, c'est l'objectif de Marina Amaral, artiste brésilienne qui passe des heures à retravailler des clichés monochromes. Grâce aux images poignantes qu'elle choisit et à son travail minutieux, elle a su convaincre le public d'adhérer à son art.

Czeslawa Kwoka a 14 ans. Le 12 mars 1943, elle succombe à une injection de phénol dans le cœur dans le camp d'Auschwitz. Peu avant, elle a été battue par un Kapo et photographiée sous différents angles. Son histoire était inconnue du public jusqu'au 12 mars dernier. Marina Amaral, touchée par les images de cette jeune fille blessée qui garde la tête haute, a décidé de coloriser ces photos monochromes. «Je voulais lui donner une chance de raconter son histoire et offrir aux gens l'opportunité de voir son visage en couleurs pour la première fois», explique l'artiste.

Partagés sur Twitter le jour de l'anniversaire du décès de Czeslawa Kwoka par le mémorial d'Auschwitz en Pologne, les clichés colorisés ont tout de suite ému le Web. « J'ai reçu des messages du monde entier, de personnes totalement différentes, qui comprenaient mes intentions », raconte Marina.

À 25 ans, cette coloriste digitale a déjà conquis un public d'adeptes grâce aux photos historiques en noir et blanc auxquelles elle a ajouté de la couleur. Martin Luther King, Elvis Presley, Albert Einstein, la reine Elizabeth II, ils sont tous passés sous ses doigts de fée. La jeune Brésilienne a déjà travaillé sur plus de deux cents clichés et compte 31.000 abonnés sur sa page Facebook.

Cette voie professionnelle n'était pourtant pas prédestinée pour Marina Amaral . «J'étudiais les relations internationales mais le cadre des études traditionnelles ne me convenait pas. J'ai toujours aimé travailler seule, c'est comme ça que j'ai appris à me servir de Photoshop à l'âge de 12 ans», explique-t-elle.

Un travail de fourmi

Alors qu'elle surfait régulièrement sur internet pour alimenter son blog de graphismes en tout genre, l'artiste a découvert avec passion une collection de photos en couleurs de la Seconde Guerre mondiale. «J'ai décidé que je voulais essayer de reproduire cette technique. Je n'avais aucune idée de ce que je faisais au début. Au fur et à mesure, j'ai développé ma propre méthode de travail», se souvient Marina.

Son ouvrage se divise en trois étapes fondamentales. La première consiste à trouver des photos historiques libres de droits sur lesquelles elle peut travailler. Cela peut paraître simple... et pourtant: «Malheureusement, je suis limitée par l'accès aux images car elles doivent être dans le domaine public pour que je les exploite. C'est plus simple de trouver un cliché de l'histoire américaine qu'anglaise par exemple.»

Quand la Brésilienne obtient finalement une photo accessible «avec une histoire poignante derrière elle», elle entame un processus d'enquête sur cette dernière. Ses investigations minutieuses, dans l'objectif de rester le plus fidèle et honnête possible envers la diapositive, peuvent durer plusieurs semaines. «Si j'ai par exemple une image d'un conflit armé, je vais rechercher les couleurs originales des uniformes, des médailles, des bottes, des véhicules, de la peau, des yeux et des cheveux du ou des personnages, quand c'est possible. J'essaie également de trouver des clichés récents des lieux de location des photographies», détaille Marina.

Elle débute ensuite le processus de colorisation grâce au logiciel Photoshop. Armée de sa tablette graphique tactile, la jeune femme visualise toutes les particularités de la photo pour lui donner vie. Après une première étape de restauration de surface, Marina s'attaque aux couleurs. «Imaginez un livre de coloriage géant, c'est exactement pareil. Chaque détail que vous voyez est colorisé à la main. Il n'y a rien d'automatique dans cette démarche. Je crée moi-même les couleurs en mélangeant différentes teintes et en essayant de reproduire l'atmosphère selon la lumière visible dans la scène. Si je vois un petit caillou dans le sable, je mettrai au moins dix minutes à créer son coloris». Un mécanisme qui peut donc durer des heures pour un simple portrait.

Découvrir le passé autrement

Le procédé de colorisation des photos n'est cependant pas nouveau puisqu'on en trouve des traces dès 1840 avec les œuvres du célèbre photographe Suisse Johann Baptist Isenring. La pratique s'est popularisée ces dernières années grâce au développement du numérique. Le groupe «Colorized History» sur Reddit, où différents coloristes digitaux partagent leurs travaux à plus de 300.000 abonnés, prouve un engouement en constante augmentation. La Brésilienne reste toutefois l'une des seules à pouvoir se vanter de vivre aujourd'hui de sa passion, devenue le cœur de son métier.

Cette profession, inconnue du public, est néanmoins décriée dans le monde de l'art, qui l'accuse de «vandalisme». Accusés de ne pas respecter les photos originales en effaçant leurs marques du temps, les coloristes digitales se défendent en expliquant que leur dessein n'est pas de remplacer l‘œuvre, mais d'y ajouter un supplément. «Je consacre beaucoup de mon temps aux photos sur lesquelles je travaille pour être fidèle à l'histoire qu'elles racontent, insiste Marina. Je fais cette démarche car je pense que quand vous voyez un cliché en couleurs, vous pouvez immédiatement vous sentir connecté à lui. La vie n'a jamais été en noir et blanc, les couleurs nous permettent de construire un pont avec le passé.»

Désormais, les projets s'enchaînent pour Marina Amaral. En novembre dernier, le musée du football allemand lui a ouvert ses portes à Dortmund dans le cadre d'une exposition sur des photos historiques de cette pratique sportive. «L'un des plus grands accomplissements de ma carrière», affirme la coloriste, même si elle ne pouvait pas être présente à l'événement. «Je travaille également en ce moment sur un projet avec le mémorial d'Auschwitz en Pologne pour mettre en lumière des histoires de prisonniers similaires à celle de Czeslawa Kwoka», explique la Brésilienne. Au mois d'août prochain, sortira enfin son premier livre:  La couleur du temps, une nouvelle histoire du monde, 1850-1960, aux éditions Head of Zeus, élaboré en collaboration avec l'historien Dan Jones. Elle y illustre (en couleurs) les histoires qu'il raconte, du règne de la reine Victoria à la crise des missiles de Cuba.

Coloriser des photos historiques « permet de construire un pont avec le passé »

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
13 commentaires
    À lire aussi