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Yann Arthus-Bertrand affiche 50 ans d'images à la Grande Arche de La Défense

Yann Arthus-Bertrand affiche 50 ans d'images à la Grande Arche de La Défense
" La situation de la biodiversité est catastrophique". Photo : Olivier Bohin © Agence DREUX
Le réalisateur-photographe n'est pas juste celui qui révèle les beautés et les blessures de la terre vues du ciel. L'exposition à La Grande Arche de La Défense dévoile les 50 ans de carrière de Yann Arthus-Bertrand. Un regard sans concession.

Une photo peut-elle changer le monde ? 

Bien sûr que non. Si on change une personne, c'est déjà pas mal... En fait, il y a, peut-être, une photo qui a changé le monde : celle de la Nasa révélant la planète bleue tel qu'elle est. Là, on s'est aperçus que la Terre n'était pas comme les autres. C'est pour moi le cliché le plus important. 

L'expo-rétrospective de votre carrière mesure l'évolution de votre regard sur la Terre et ses habitants. Quelle a été le changement  majeur depuis votre première photo ?

Mon premier cliché remonte à l'âge de 5 ans. Mon père m'avait prêté un appareil photo que j'ai utilisé pour prendre en photo ma famille. En fait, j'ai toujours aimé la photo, même quand je voulais devenir scientifique. On me dit pessimiste sur le monde, mais je n'ai cessé de regarder le monde avec les yeux grands ouverts. La situation de la biodiversité est catastrophique. Les lions, par exemple, ils ne sont plus que 20.000 en Afrique, alors qu'ils étaient 400.000 quand j'avais 20 ans. On parle de la disparition inévitable des éléphants, alors qu'ils étaient 20 millions au début du siècle dernier.

"Monsieur, c'est quand la fin du monde ?"

Vous en concluez quoi ?

On s'est très bien occupés de l'Homme. On vit plus vieux, il y a moins de maladies, de mortalité infantile, plus de démocratie, ... Mais on n'a pas fait attention à ce qui se passe autour de nous. 

Toutes les conférences, toutes les alertes, tous les rapports et les prévisions ont-ils un réel impact ?

C'est croire au Père Noël que de s'imaginer que les choses vont changer. Cela bouge un peu, mais c'est peu de choses par rapport . Le colibri peut éteindre le feu, mais il faut qu'il appelle ses copains pélicans pour l'aider sinon il ne réussira pas.

"Je suis très attaché aux lions. c'est eux qui m'ont appris la photo". Photo : Yann Arthus-Bertrand

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On vous sent fataliste ?

Les 7 milliards d'habitants veulent la même croissance. Tout le monde veut manger des tomates du Bangladesh à Paris ou du saumon de Norvège lorsqu'on déjeune à Tahiti ! On vit dans un espèce de monde où rien n'est interdit. Il n'est pas question de sauver la planète qui n'a pas fini de tourner. C'est plutôt sauver la vie telle qu'elle est aujourd'hui. Notre terre est un petit miracle. C'est une oeuvre d'art mais on est en train de la bousiller. 

N'y a-t-il pas une raison d'espérer ?

La jeune suédoise Greta Thunberg, militante pour le climat, est quelque part un miracle, elle parle avec une telle force. Quand elle s'exprime, elle souffre. Cette souffrance prouve qu'elle parle vrai. Les enfants sont sensibles à l'environnement, douze écoles portent mon nom, dont l'une en Eure-et-Loir. Il y a chez eux une vraie interrogation.  A l'occasion de la projection d'un de mes films, un élève m'a posé cette question : "Monsieur, c'est quand la fin du monde ?"... Quand j'ai demandé à la classe combien croyait en la fin du monde, 70% des bras se sont levés.

"Les politiques sont prisonniers de la croissance"

Ce sont les enfants qui "sauveront le monde" ?

C'est désespérant de dire ça. Ce n'est pas encourageant de leur laisser un tel monde. C'est culpabilisant. C'est à nous de le faire. Si tous les écoliers faisaient grève, ce serait significatif pour dire non à la croissance qui est la clé de tous nos problèmes environnementaux. Ce serait une révolution culturelle ! Car la croissance s'accompagne de carbone, ce qui n'est pas bon pour la biodiversité. En fait, il faut changer de civilisation.

Vous ne croyez pas à l'action des politiques ?

Ils sont tous prisonniers du point de croissance. Cela permet de payer les fonctionnaires, les hôpitaux, les écoles, etc. Trump va être réélu car l'Amérique est redevenue le premier producteur de pétrole, et grâce à cela l'économie repart. Mais ce ne sont pas les hommes politiques qui changeront le monde.

Et vous, auriez-vous une idée pour changer le monde ?

Je pense qu'il y a des valeurs essentielles qui sont presque chrétiennes : la gentillesse, la bienveillance, l'empathie, la compassion, l'honnêteté, l'éthique,... Cela paraît con de dire ça. Si chacun les avait en soi, on ne maltraiterait peut-être pas autant notre planète. Aujourd'hui, tu manges de la viande sans te préoccuper de ce qui se passe dans les abattoirs ! 

"Cet agriculteur qui m'a dit que son rêve serait de mourir avec le sourire..."

On vous a parfois reproché de provoquer une empreinte carbone importante pour tourner vos films au bout du monde. Que répondez-vous ?

Je suis le premier à l'avoir dit avant que l'on m'attaque. C'est vrai que je ne suis pas irréprochable. Mais j'essaye de faire ce que je peux, je m'arrange avec ma conscience. J'ai une voiture électrique, je ne mange pas de viande. 

Le photographe explique que "chaque personne photographié lui apporte beaucoup".

Parmi toutes les personnes que vous avez photographiées, qu'elle a été la plus marquante ?

Quand j'ai réalisé le film Human, ce fut le président de l'Uruguay. Il explique très bien que tout ce que l'on achète dépend de notre temps de vie. Résultat, tu gâches un peu ta vie avec des trucs inutiles. Mais il y a aussi un agriculteur en auto-suffisance à Madagascar qui m'a dit  que "son plus grand rêve serait de mourir avec le sourire". Cette phrase me poursuit en permanence. Les êtres humains ne se préparent pas à la mort. 

De nombreuses personnalités sont passées devant votre objectif. L'une d'elles est François Mitterrand. Était-il sensible à l'état de la planète ?

C'est lui qui avait organisé la première conférence de Rio sur le climat, mais ce n'était pas la même époque. On ne parlait pas de changement climatique. J'avais fait sa photo pour la couverture de L'Express. Il m'avait dit qu'il n'était pas très bien, pensant que la photo faite n'était pas bonne. J'ai rappelé le lendemain pour un autre rendez-vous. La secrétaire m'a directement passé le Président qui m'a dit : "Vous voulez venir quand mon cher Yann ?". 

Vous avez aussi photographié Ingrid Levavasseur, « gilet jaune »...

C'est une femme incroyable. Elle rame dans son métier et m'a dit que son engagement dans les « gilets » lui a donné une belle motivation, un véritable épanouissement. Une découverte d'un nouveau monde. Je sens chez elle un tempérament de lionne.

"Ce sont les lions qui m'ont appris la photographie..."

Les lions sont très présents dans votre expo. Est-ce votre animal totem ? 

Ce sont eux qui m'ont appris la photographie... Je m'occupais du parc zoologique de Saint-Augustin, près de Moulins, dans l'Allier. C'était une histoire incroyable. 

C'est à dire ? 

Je suis tombé amoureux de la mère de mon meilleur ami. Elle avait un vieux château. On a créé une réserve zoologique, avec notamment des lions. Ils venaient de Thoiry. J'aime les lions que j'ai étudiés chaque jour. Je m'y suis attaché. 

Avez-vous encore un rêve ?

Mourir avec le sourire... On rêve longtemps de réussir sa vie professionnelle mais réussir sa vie d'homme, c'est plus compliqué. Je ne crois pas être un très bon mari, un très bon grand-père. Je crois avoir encore des efforts à faire. La notoriété, c'est bien mais ce n'est pas ça le vrai bonheur. 

Alors, c'est quoi le bonheur pour vous ?

Ces moments où tu es avec tes amis, partageant un p'tit repas et un p'tit verre de vin. J'ai failli mourir dans un très grave accident d'hélicoptère aux USA. On aurait dû se tuer. On n'avait rien. C'était un miracle ! En sortant de l'hôpital juste après l'accident, j'ai eu envie de boire un p'tit verre de vin. Car c'était la France, avoir le terroir en moi. Comme si j'étais chez moi avec mes proches et mes copains en train de discuter. 

Considérez-vous avoir eu de la chance ?
On a tous sa chance un jour ou l'autre. Il faut savoir la saisir. Je n'ai pas eu peur de la chance. J'ai attrapé tout ce qui passait.

A l'Arche de la Défense : "Legacy, l'héritage que nous laissons à nos enfants", cinquantenaire du travail photographique et cinématographique de Yann Arthus-Bertrand. Plus de 250 photos et 5 films. Jusqu'au 1er décembre. Tarifs: 15 € (avec accès au toit). www.lagrandearche.fr

GoodPlanet. C'est le nom de la fondation de Yann Arthus Bertrand située dans un château planté au milieu d'un parc de 3 hectares dans le bois de Boulogne. L'établissement défend l'écologie humaniste. "On reçoit les gens gratuitement pour leur parler de la biodiversité, de la cuisine durable, des fonds sous-marins, des réfugiés, etc. Des forums y sont organisés avec des spécialistes. Les gens peuvent chanter, danser". La fondation réunit 300 bénévoles partageant des valeurs "de gentillesse, de bienveillance, d'ouverture". Tél. 01.48.42.01.01.

Olivier Bohin
olivier.bohin@centrefrance.com


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