Audrey Azoulay tend la main, les photographes restent sceptiques

La ministre de la Culture a annoncé, ce lundi 4 juillet à Arles, trois mesures en faveur de la photographie. Création d'une Mission pour la photographie, d'un Parlement et lancement d'une commande nationale… Pourtant, les professionnels sont loin d'être convaincus.

Par Joséphine Bindé

Publié le 17 juillet 2016 à 09h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h52

Trois mesures en faveur de la photographie : c’est ce qu’a annoncé lundi 4 juillet la ministre de la Culture Audrey Azoulay, lors d’une conférence de presse pour l’ouverture de la 47e édition des Rencontres d’Arles. Au programme, deux grandes commandes nationales (l’une en vue d’une documentation du Grand Paris, l’autre d’un portrait de la jeunesse dans sa diversité). Ainsi que la relance de la Mission pour la photographie (petite structure d’Etat créée en 2010 par Frédéric Mitterrand) avec un nouvel objectif : « une étude sur la conservation des fonds photographiques et sur les collections publiques. » Et enfin, la création d’un « Parlement des photographes », une mystérieuse instance de concertation censée se réunir à l’automne pour offrir un espace de dialogue au monde de la photographie… et à propos duquel le ministère n’a pas su donner de plus amples informations. 

Idées en l’air ou vrais engagements ? A moins d’un an des présidentielles de 2017, ces lignes floues peinent à convaincre. Le « Parlement des photographes » ? « Une usine à gaz avec du copinage et un choc des egos », prédit le photographe Yan Morvan dont les « Champs de bataille », vestiges des grands conflits mondiaux, sont actuellement exposés à Arles. « Il y a déjà eu des commissions. Les gens s’y sentent grandis mais il n’en sort rien, tranche-t-il. En 2006, on nous avait parlé d’un Conseil Supérieur de la photographie, mais rien n’a été fait », rappelle quant à lui le photographe et historien Jean-Claude Gautrand, qui a contribué à fortifier les Rencontres avec son ami Lucien Clergue. Et à créer les Etats Généraux des photographes dont les conclusions, après réunion en 1968, « ont abouti au fond d’un tiroir »...

“On pense que la photographie est facile, que tout le monde peut s’en emparer, alors on ne choisit pas des personnes compétentes.”

Et l’étude sur les fonds photographiques ?  « Au moins, on en parle. Mais il y a eu beaucoup de promesses non tenues » : présidente de l’APFP (Association pour la promotion des fonds photographiques), Françoise Denoyelle attend de voir. « Ça fait dix ans qu’on se bat pour les mêmes choses » regrette, tout aussi sceptique, Jean-Claude Gautrand. Sans compter que la Mission photographique (aujourd’hui relancée pour l’occasion) aurait produit « peu de réalisations concrètes » selon Françoise Denoyelle. Autre écueil : sa nouvelle directrice (Sophie Léron, assistante parlementaire de Patrick Bloche) est inconnue au bataillon. « La photographie est malmenée : on pense que c’est facile, que tout le monde peut s’en emparer, alors on ne choisit pas des personnes compétentes », s’agace une experte qui a préféré rester anonyme.  

Certes, Françoise Denoyelle évoque « des progrès dans la conscience de la conservation, et beaucoup d’efforts à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine ». Institution qui œuvre, depuis sa création en 1996, à la conservation du patrimoine photographique de l’Etat : une mine d’or composée d’au moins quinze millions de négatifs, précieusement gardés au Fort de saint-Cyr dans les Yvelines, et quatre millions de tirages dont 360 000 ont été mis en ligne et d’autres prêtés pour des expositions temporaires, notamment au Jeu de Paume. 

Mais d’importantes questions demeurent lettre morte. L’historienne note des « problèmes bien identifiés depuis des lustres » auxquels la ministre ne semble pas répondre. Pourquoi une énième étude ? « On ne veut plus de paroles mais des actes. J’attends des engagements clairs », déplore la spécialiste, également professeur à l’Ecole Normale Supérieure Louis-Lumière. Sa première doléance ?  De 1994 à 2010, les fonds de la Médiathèque étaient exposés à Paris dans un hôtel particulier, l’Hôtel de Sully. Mais depuis sa fermeture, plus de lieu pour montrer les images. 

Des fonds mal protégés et dispersés

Le problème majeur restant les donations à l’Etat. Si Pierre Bonhomme (directeur du Patrimoine photographique de 1988 à 2003) avait accueilli les fonds d’André Kertész et Willy Ronis, « aujourd’hui, il n’y a pas d’équivalent. Beaucoup de photographes ont des fonds mais ne savent pas quoi en faire.  Il n’y  a pas eu de signal fort qui dise ‘’nos portes sont ouvertes pour des donations’’ » regrette Françoise Denoyelle, qui  s’inquiète du devenir de véritables trésors argentiques accumulés par des photographes âgés de plus de soixante-dix ans, tels William Klein ou Sabine Weiss. Résultat ? Des fonds mal protégés, entreposés entre deux portes, dispersés par thèmes ou exfiltrés à l’étranger. Comme celui du légendaire Helmut Newton, parti en Allemagne après avoir été refusé en France.  

Inventaire, légendes, numérisation : il faut des moyens et environ deux ans pour faire entrer un fonds. Mais « on peut faire beaucoup de choses en un an. On a un personnel hautement qualifié », assure la présidente de l’APFP. « Il faut une petite équipe qui aille vers les photographes, car ils sont isolés. Ensuite, les conservateurs prendraient le relais », préconise-t-elle. Tout en pointant un manque de structures associant conservation et diffusion, face à des fonds de plus en plus volumineux. 

Autre frustration : la promotion insuffisante des photographes français. « Revaloriser les archives, c’est bien. Mais la réalité du terrain, c’est que les photographes français ne sont pas assez aidés. Je fais travailler vingt personnes mais l’Etat ne me donne pas un centime ! Pour vivre, je travaille avec la Suisse et la Chine », s’indigne Yan Morvan. 

D’où un meilleur accueil réservé à la troisième mesure : les commandes publiques. Chapeautée par le CNAP (Centre national des arts plastiques), la première a vu son appel à projet lancé ce mercredi 13 juillet. L’idée ? Autour de plusieurs axes et jusqu’en 2026, six photographes par an documenteront le Grand Paris dans son ensemble : paysages, architectures mais aussi habitants et modes de vie. Et verront leurs œuvres intégrer le Fonds national d’art contemporain. Quid de la seconde, dont l’appel à projet sera lancé en septembre ? Vingt artistes accueillis en résidence dépeindront « la jeunesse française dans sa diversité ».  

“De nouvelles personnalités vont nous parler de photo alors qu’elles n’y connaissent rien…” Jean-Claude Gautrand.

Source d’inspiration directe de ces projets, la grande commande de la DATAR : dans les années 1980, vingt-huit photographes chargés de représenter le paysage hexagonal se lançaient sur les routes françaises. « Si elles se font, c’est bien : les grandes commandes permettent de faire travailler des photographes talentueux », note Yan Morvan. Selon Jean-Claude Gautrand, ce sont aussi de « bonnes idées » permettant de « dresser un bilan d’une époque ». Seules inquiétudes : le budget, et la façon dont elles seront menées. Et pour Françoise Denoyelle, c’est un peu tard. Ex-présidente du Bar Floréal (collectif de photographes mis en liquidation judiciaire en juillet 2015), elle aurait justement déposé « un projet de trente pages pour que les collectifs documentent le Grand Paris dans le cadre d’une commande sur dix ans ». Sans réponse… 

Alors, qu’espérer de tout cela ? Bien que « persuadé qu’Audrey Azoulay s’intéresse vraiment à la photographie », Yan Morvan se méfie de « l’engrenage des élections ». Tout comme Jean-Claude Gautrand, qui pressent « un revirement total » dans sept mois : « De nouvelles personnalités vont nous parler de photo alors qu’elles n’y connaissent rien… Mais restons optimistes ! »

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