Vive la photographie française ?

Michel Poivert, grand historien de l'art, analyse le désamour pour la photographie française depuis les années 70. Un grand ouvrage passionnant.

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Vive la photographie française ?
Vive la photographie française ?

Temps de lecture : 6 min

Michel Poivert, professeur d'histoire de l'art à Paris-I et grand spécialiste de la photographie, raconte cinquante ans de photographie en France, soit des années 70 à nos jours. L'aventure est passionnante et jamais elle n'avait encore été étudiée. Pourquoi notre pays ne donne-t-il pas sa place à la photographie française contemporaine, alors que d'autres comme l'Allemagne, l'Italie, les États-Unis, la Russie ou la Chine revendiquent leur « patrimoine » ?

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photo, livre, histoire ©  opi

Islam et sa mère, 2013 Denis Dailleux

© opi
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Retour à Mexico de Bernard Plossu, 1970

© ©bernard plossu

« C'est l'un des paradoxes de la France », répond Michel Poivert, que d'avoir du mal à accepter sa photographie. Ce qui est très étrange, car notre pays peut s'enorgueillir de beaucoup de choses : il est celui de l'invention de la photographie, de son marché – d'où le succès de la foire Paris-Photo aujourd'hui. Nos festivals, du plus petit au plus grand, ont un énorme succès et l'État a très souvent soutenu la photo grâce à des commandes… » Ajoutons quelques noms de grands maîtres : Le Gray, Nadar, Eugène Atget, jusqu'à Boubat, Cartier-Bresson, Doisneau… » Mais depuis les années 70, quels sont ceux et celles qui se sont fait un nom à l'étranger, si l'on excepte Bernard Plossu qui a vécu aux États-Unis et est donc un peu plus connu outre-Atlantique… Même Raymond Depardon, qui appartient à cette génération de reporteurs qui ont redéfini le photo-reportage, ou encore Gilles Caron, sont-ils reconnus en France comme à l'étranger ? Quels musées hors de la France achètent les œuvres de nos photographes ? Quel photographe français peut rivaliser avec la cote du photographe allemand Andreas Gursky ? Sa photo « Rhein II » avait atteint 3,1 millions d'euros il y a quelques années.

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Série "Melting Point" - La Havane n° 2 - 2006-2007-   de Stéphane Couturier

© Stephane Couturier
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 Véronique Ellena, La Chambre en désordre , série Le Plus Bel Âge , 2000

© ©veronique ellena

Michel Poivert explique en partie cette disgrâce. L'image de la photographie française universellement connue est celle des Doisneau, Willy Ronis, Cartier-Bresson… Ces grands humanistes ont marqué leur temps et les temps suivants, et la France continue à être identifiée à leurs visions. « Les photographes des années 70 qui avaient plutôt comme références William Klein et Robert Frank ont voulu marquer une rupture. Mais les clichés, comme ceux d'une France d'une autre époque, ont la vie dure. La photographie française des années 70 a voulu casser les codes du pittoresque et elle l'a payé très cher. »

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 Reims , 1988,  série Contes des temps modernes ou la Misère ordinaire

© ©Marie - Paule Nègre

L'aventure de la mission photographique de la Datar est à ce titre révélatrice. Dans les années 80, 29 photographes sont missionnés par cette délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'action régionale pour « représenter le paysage français actuel ». Leur vision personnelle et leur expérience sont privilégiées. Parmi eux, Depardon, Sophie Ristelhueber, Albert Giordan, Doisneau… Le catalogue se vendra à prix d'or, mais, dans un premier temps, le travail des uns et des autres est reçu de façon très négative. « Et après, que fait-on des photographies ? On ne les montre pas. » La superbe exposition consacrée aux « Paysages français » à la BnF en 2017 leur rendait hommage et les spectateurs affluèrent, prêts enfin à voir cette histoire et ses suites. Mais il fallut attendre près de trente ans.

Style français

« La Datar symbolise le moment où la photographie fait sa révolution : plus politique, moins gracieuse. Les photographes donnent à voir une France avec ses problèmes de société, que la France ne veut pas voir, préférant rester sur l'imaginaire des Trente Glorieuses. Il aurait fallu diffuser la formidable et longue enquête sur la pauvreté de la grande photographe Marie-Paule Nègre. » S'il n'existe pas un style français, sauf à pointer une certaine conscience de la réalité et le désir d'en rendre compte, l'un des phénomènes que l'on peut qualifier de typiquement français, c'est le collectif, emblème des décennies 70 et 80 : agence, regroupement… engagé, souvent politisé. De Viva au Bar Floréal et « Tendance floue » qui fêtera ses trente ans l'an prochain : la France photographique se lit aussi à travers cette grille.

hommes, photo, livre ©  ©Franck Pourcel

un migrant cache son visage de Franck Pourcel, 2003

© ©Franck Pourcel

Bien sûr, les productions et commandes de l'État, pilotées par le Centre national d'arts plastiques, sont exposées, comme ce fut le cas avec « la jeunesse en France » en 2017 : une quinzaine de photographes (dont Claudine Doury, Gilles Coulon, Stéphane Lavoué…) avaient travaillé sur ce thème porteur et l'expo avait été montrée dans plusieurs relais, dont le Centre d'art photographique de Niort (lui aussi producteur), le festival Images singulières de Sète et quelques gares. « Voici un autre paradoxe, ajoute Michel Poivert : d'un côté le soutien de l'État, et ce depuis longtemps – le ministre Jack Lang par exemple a fondé le Centre national de la photo en 1982, fait appel au mythique éditeur Robert Delpire, etc. –, et de l'autre, ce statut de nain du monde de la culture. La photo pourtant très présente, très stimulante est faible parce qu'elle n'a pas développé un modèle économique efficace. Ce n'est pas une industrie comme le cinéma, or les films sont en partie financés par les spectateurs qui achètent leur ticket. Pourquoi pas une agence d'État qui piloterait un financement auprès de la Caisse des Dépôts et permettrait la création d'œuvres ? » Et permettre un développement à plus grande échelle.

« Qu'on arrête les clichés »

Désormais, les publics, grâce à tous les festivals sur le territoire, sont sensibles à différents types de langages. Le domaine de l'édition est excellent et très actif. La foire de Paris Photo est une réussite « parce que c'est la France, un pays qui aime la photo et qui en produit beaucoup ». Les photographes, quelle que soit leur génération désormais, ne s'enferment plus dans des chapelles comme dans les années 80 où ils se définissaient par catégorie, photo journalisme, plasticiens… et s'ignoraient les uns les autres. « Depuis une quinzaine d'années, crise aidant, il y a de vrais échanges, car ils sont soumis aux mêmes exigences. Mais si la photographie a trouvé sa place dans les musées, et qu'une œuvre produite vaut cher, il faut en produire beaucoup pour gagner sa vie, en vendre deux, trois tirages par mois pour avoir un salaire correct. Quant à la photographie de presse, un cliché vaut peu. »

Alors, que faudrait-il pour que tout soit pour le mieux ? « Que le marché se saisisse des photographes français. Rappelons-le, la France est le pays où s'est inventé le marché de la photographie. Qu'on arrête les clichés sur la photographie française : elle n'est ni déceptive, ni triste, ni trop intello. Que les expositions consacrées aux Français tournent à l'étranger. Et qu'enfin soit montrée une vision panoramique de la photographie française. Nous avons des grands photographes, des conservateurs, des collections, des galeries qui travaillent très bien. » Jusqu'à quand les Français continueront – ils doivent avoir peur qu'on leur reproche d'être cocardiers, chauvins ? À quand une exposition d'ampleur nationale de Stéphane Couturier, Véronique Ellena, Françoise Huguier, Marie-Paule Nègre… ?

Cinquante ans de photographie française, de 1970 à nos jours

Éditions Textuel, 416 pages, 59 euros.

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