“Gold” : quand Sebastião Salgado immortalisait les martyrs de la ruée vers l’or

En 2016, le célèbre photographe revisitait un reportage mené trente ans plus tôt dans une mine d’or au Brésil pour en faire un livre, “Gold”. Une série iconique qui se retrouve au centre d’une exposition éponyme, actuellement visible à Paris.

Par Elodie Cabrera

Publié le 12 février 2020 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h30

Cette photo, Sebastião Salgado l’a surnommé le saint Sébastien, en référence au martyr attaché à un poteau. Un jeune homme charpenté, les bras croisés, adossé contre un piquet. En contrebas : une fosse, une fourmilière. Dans ce gouffre de 200 mètres creusé dans la Serra Pelada, au nord du Brésil, 52 000 hommes charrient de lourds sacs de terre. Les uns grimpent, les autres dévalent un chemin escarpé que seule leur procession laisse deviner. La fièvre de l’or a déjà dévoré le panorama lorsqu’en 1986, le photographe brésilien se rend dans cette région de l’Etat du Para, décrite dans la préface Gold, le livre publié chez Taschen en 2019, comme un endroit « où il était impossible de mettre un terme à l’exploitation sauvage et frénétique qui se déroulait dans des proportions quasi bibliques. »

Ce sujet publié pour la première fois en 1987 dans les pages du Sunday Times et du New York Times, a entériné la renommé du photographe, et redonné une place au photoreportage en noir et blanc, à une époque où la presse ne jurait que par la quadrichromie.

Il n’était pas le premier à descendre dans le trou. Mais là où Alfredo Jaar et Miguel Rio Branco avaient imprimé la boue ocre et pègueuse, Sebastião Salgado traque des compositions plus exaltées, et drape ses clichés d’un linceul argenté qui canonise l’effort et sculpte les corps.

Ce bain révélateur est depuis devenu sa signature. Le sel de ses projets planétaires, comme Exodes (1994-1999) sur les migrations, ou Genesis (2004-2012) sur la fragile beauté de la nature. Mais aussi le fiel de ses détracteurs, qui l’accusent d’esthétiser la détresse à l’époque d’Exodes, ou de fraterniser avec les puissants industriels. Le photographe humaniste et militant pour la cause environnementale, notamment à travers sa fondation Instituto Terra qui participe au reboisement de l’Amazonie, ne s’est pourtant jamais caché d’avoir financé en partie ses voyages pour Genesis grâce aux subventions du géant minier brésilien Vale. N’en déplaise aux décocheurs de flèches, Gold documente cependant de façon unique un pan historique de la ruée vers l’or au Brésil.

Eternel adepte du travail au long cours, l’ancien économiste devenu photographe s’y rend au départ pour composer un chapitre clé de son livre Workers (La Main de l’homme, en français) sur les forçats du travail. Cela fait six ans qu’il tente d’obtenir l’autorisation pour photographier la mine sous tutelle de l’Etat. L’armée, qui surveille le site, ne voit pas d’un bon œil l’intérêt de cet opposant au gouvernement, exilé en France. Il faudra que les militaires cèdent la place à la police locale pour que le photographe obtienne enfin le feu vert d’une coopérative de prospecteurs. Trente-cinq jours durant, il ira s’embourber aux côtés des « péons », ces travailleurs qui creusent pour le compte de propriétaires des lopins de terre de 5m2, onze heures par jour, payées au lance-pierre. Avec pour seul butin : une hutte, un peu à manger, et un sac de terre, dans lequel tous espèrent découvrir quelques pépites au milieu des cailloux.

 

  © Sebastia Salgado, “Gold”, courtesy Polka Editions

On déniche également une poignée de pépites à la Galerie Polka. Parmi la trentaine d’images exposées, une dizaine sont inédites, dont ces silhouettes, découpées à contrejour, chargées comme des mules qui s’éloignent dans la poussière. On retient surtout celles qui avaient déjà marqué les esprits par le passé : des plans larges, enserrant l’immensité de l’abysse où se déversent des flots ininterrompus d’hommes. Des cadrages serrés sur les cuisseaux de ces hercules à la petite semaine, le plissé des vêtements trempés de boue. Et un visage ahuri, l’œil au bord de l’orbite, comme un poisson asphyxié. Quand la fièvre de l’or est retombée, nombre d’entre eux sont repartis, les os brisés et les poches vides. Un lac recouvre désormais le précipice, mais l’orpaillage illégal, attisé par le chômage, se poursuit toujours dans le nord de l’Amazonie, empoisonnant les fleuves et les populations de mercure, utilisé pour aimanter le précieux métal. En 2018, un collectif d’ONG environnementales a recensé plus de 2300 mines clandestines.

A VOIR : “Gold”, jusqu’au 14 mars, galerie Polka, 12, rue Saint-Gilles, Paris 3e. Entrée libre.

A LIRE : Gold, Editions Taschen, 50 €.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus