Une série de mode par le sulfureux photographe américain Terry Richardson montrant une Laetitia Casta habillée mais dans des poses suggestives sur des sculptures d'Aristide Maillol. Voilà l'idée de la séance de prises de vues nocturne organisée au Jardin des Tuileries par le magazine Purple Fashion et publiée dans ses pages en 2011. L'affaire s'est soldée fin janvier par une lourde condamnation pour le magazine biannuel français, qui doit verser 100 000 euros pour atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de Maillol, a révélé le 5 mars le site du Journal des Arts.
Dans un jugement rendu le 17 janvier, le tribunal de grande instance de Paris a jugé qu'en publiant ces photos sans autorisation des ayants droit du sculpteur mort en 1944, le magazine a « commis des actes de contrefaçon ». Dans son numéro 15 (printemps/été 2011), Purple avait au total publié cinq photos de Laetitia Casta chevauchant, enlaçant ou touchant La Montagne, Trois Nymphes, La Jeune Fille allongée, La Rivière et Flore. Ces bronzes font partie d'une série de dix-huit sculptures intitulée « Nymphes, baigneuses et déesses », installées dans le jardin des Tuileries depuis 1964, après une donation à l'Etat de Dina Vierny, la muse de Maillol.
ATTEINTE À L'INTÉGRITÉ DES ŒUVRES
Olivier Lorquin, le président et directeur du Musée Maillol, à Paris, était tombé sur la converture du magazine « par hasard, dans un kiosque. J'ai été très surpris de découvrir ces photos prises à la sauvage. » En tant qu'ayant droit de l'œuvre de Maillol avec son frère, Bertrand Lorquin, vice-président et conservateur du Musée Maillol, il s'est alors tourné vers l'ADAGP, la société des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques, gestionnaire des droits patrimoniaux.
« Ils ont pris contact avec le magazine, qui a fait la sourde-oreille et continué à diffuser les photos sur son site Internet, explique-t-il. On aurait pu trouver un accord et ne pas en arriver là. Je ne suis pas un censeur, je n'ai rien contre Terry Richardson et Laetitia Casta, mais j'en veux un peu à l'éditeur du magazine [Olivier Zahm] pour son manque d'élégance et d'usage. »
Dans un premier temps, une proposition de l'ordre de 25 000 euros aurait été faite pour régulariser la situation, somme qui avait semblé démesurée au magazine, au tirage assez confidentiel. Ironie de l'histoire : les œuvres de Maillol tombent dans le domaine public à partir du mois de septembre prochain (soit soixante-dix ans après la mort de l'artiste).
SENSUALITÉ VS ÉROTISME
Mais cela ne concernera que les droits patrimoniaux, pas le droit moral, inaliénable, qui reconnaît à l'auteur la paternité d'une œuvre, et vise aussi le respect de son intégrité. Or, la série de photos a cumulé les atteintes au droit, selon les juges. « Ils n'ont pas demandé d'autorisation, ne se sont pas aquittés de droits de reproduction, et n'ont pas non plus cité le nom même de Maillol », résume Hélène Dupin, conseil de l'ADAGP et des ayants droit. Le nom du sculpteur apparaissait pourtant clairement sur l'un des clichés, gravé sur l'œuvre (cette même photo illustrait la couverture du magazine), mais n'a pas été précisé dans les mentions des photos. Du côté de Purple, on reconnaît sur ce point une « erreur » et « un manque de vigilance ».
Et une atteinte à l'intégrité de l'œuvre a été mise en avant. Les clichés représentent Laetitia Casta « dans des poses explicitement érotiques, voire sexuelles », a relevé le jugement de la troisième chambre. On y voit notamment le mannequin chevaucher la cuisse ou le visage d'une statue, « la tête renversée en arrière et la bouche entrouverte, dans une attitude érotique », mettre la main sur la fesse de l'une des Trois nymphes, ou encore poser contre Flore, « à laquelle, cambrée, elle tourne le dos et présente son postérieur », énumère le jugement.
Les sculptures aux formes généreuses ne sont pourtant pas exemptes de sensualité, ce qu'a reconnu le tribunal : « Elles représentent des femmes nues et donc sont empreintes d'une certaine sensualité », mais elles « ne présentent pas de caractère explicitement érotique ou sexuel, la position et l'expression des femmes sculptées étant empreintes de classicisme », a affirmé le tribunal.
Les juges ont interdit au magazine de représenter ces photos sur son site Internet, dont le numéro 15 a en effet été retiré. La société éditrice du magazine a été condamnée à verser 50 000 euros de dommages et intérêts à MM. Lorquin, fils de Dina Vierny, et la même somme à l'ADAGP. Le magazine indépendant, qui dit craindre pour sa survie, a fait appel.
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