Photographie réalisée pour le roman-photo Gioventù delusa [Jeunesse déçue], publié dans Bolero film n° 1043, 1967. Collection Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori
© Arnoldo Mondadori editore / DR

Photographie réalisée pour le roman-photo Gioventù delusa [Jeunesse déçue], publié dans Bolero film n° 1043, 1967. Collection Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori.

© Arnoldo Mondadori editore / DR

Saviez-vous que Johnny Halliday a été une vedette de roman-photo ? En 1964, le magazine Nous deux invitait "l'idole des jeunes" à swinguer dans ses pages. C'est l'une des surprises que nous réserve l'étonnante rétrospective dédiée à cet art populaire, proposée actuellement par le Mucem, à Marseille. Parmi les 300 documents exposés, on retrouve donc entre autres, les histoires à l'eau de rose de Nous Deux qui a bâti sur ce genre son succès.

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Un art populaire

Dans les années 50, l'hebdomadaire féminin vend plus d'un million et demi d'exemplaires chaque semaine. Qui aurait imaginé à l'époque que ses pages, méprisées par les intellos, se retrouveraient un jour au musée? Et composeraient avec des maquettes originales, des films, des oeuvres d'artiste le corpus de la première exposition consacrée au roman-photo. "Il était important de montrer la richesse de cet artisanat et de le traiter comme un phénomène de société", explique Marie Charlotte Calafat, co-commissaire et adjointe aux collections du Mucem. Car à travers les couples s'embrassant pour l'éternité sur les photographies grand format de la collection Mondadori, ce sont les rêves des femmes de l'après-guerre qui s'expriment.

Couverture du magazine Nous Deux n° 1277, 1971 © Nous Deux

Couverture du magazine Nous Deux n° 1277, 1971

/ © Nous Deux

"retrouver le bonheur"

3Retrouver le bonheur", Roman photo publié dans "Nous Deux"Crédits photos : Paolo PennaCopyright : Massimo Tonna

/ ©Nous Deux/DR

Le roman-photo a vu le jour en Italie, en 1947, inventé par les frères Del Duca, éditeurs et spécialistes de romans roses et de "fumetti", ces bandes dessinées d'action ou d'amour peuplées de super héros et de super nanas. Dans un contexte social et économique au plus bas, ces histoires sentimentales séduisent principalement les femmes. Le "fotoromanzo" partage avec le néoréalisme le gout du romanesque.

Des histoires inscrites dans le quotidien des femmes

En 1949, Michelangelo Antonioni réalisera un court-métrage documentaire -"l'amorosa menzoga "(Mensonge amoureux)- qui filme ce phénomène populaire et éditorial (5 millions de lecteurs) à travers les yeux d'adolescentes qui se consument d'amour pour un acteur de roman-photo et lui envoient des lettres passionnées, dévoilées par le réalisateur. Ces "rêves de papier glacé", comme les qualifie Antonioni, veulent faire oublier la misère.

Dans un langage accessible à tous, c'est-à-dire en simplifiant les joies et les peines de ses personnages, comme le souligne Frédérique Deschamps, co-commissaire de l'expo: "Dans le roman-photo, les images n'ont pas vocation à être belles, elles servent avant tout le récit, dont la lecture se voulait rapide et simple", explique-t-elle. Les actrices qui s'y frottent deviennent rapidement objet de dévotion. Sofia Loren, Gina Lolobrigida, Ornella Mutti...Toutes ces bombes italiennes sont déjà les stars des magazines Bolero Film ou Grand-Hotel, avant de tourner pour le cinéma.

Sophia Loren

"Non posso amarti" avec Sophia Loren , à l'époque Sofia Lazzaro, dans Sogno n°51, Rome, Italie, 1950.Collection Roberto Baldazzini

/ ©DR

Malgré les stéréotypes et les grands sentiments moralisateurs, les romans-photos s'inscrivent dans le quotidien des femmes et abordent leurs problèmes: mariage malheureux, adultère, avortement, violence... Mais comme sur le modèle du conte pour enfant, les fins sont toujours heureuses, grâce à l'amour d'un homme providentiel qui saura apaiser les tourments. Dire que le prince charmant y est chez lui est un euphémisme!

Une parodie qui s'ignore

C'est sans doute pour cette raison que ces feuilletons débordant d'émotions et de passions ont été rapidement condamnés et méprisés. Non seulement par les intellectuels et l'église mais aussi par le parti communiste qui le qualifiait "de nouvel opium du peuple". Ce qui lui vaudra une aura anticonformiste: le roman-photo ne défie-t-il pas l'ordre moral bourgeois? Sa recette n'est pas universelle pour autant. S'il s'exporte très bien dans les pays catholiques où le culte de l'icône a fait ses preuves, il touche moins les pays anglo-saxons, plutôt de confession protestante.

année 60

Piero Orsola, diapositive pour un roman-photo, Rome, années 1960. Ektachrome 120. Collection particulière

/ © Piero Orsola. Cliché : Josselin Rocher

Gioventó delusa

Photographie réalisée pour le roman-photo Gioventù delusa [Jeunesse déçue], publié dans Bolero film n° 1043, 1967. Collection Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, Milan

/ © Arnoldo Mondadori editore/DR

Dans les années 60 et 70, le roman-photo va s'émanciper et transgresser les histoires d'amour mielleuses. Avec les revues érotico-sadiques comme Satanik, le héros, squelette bien en chair, torture, tue, vole en toute impunité. Pas de sexe, mais tout ce qui l'émoustille: lingerie, bas, bikini et surtout une certaine délectation immorale et inavouée du lecteur masculin devant ces mises en scène SM et burlesques. Le roman-photo passe du rose au noir.

La pornographie conclut le passage à l'acte et pénètre dans les chambres des amoureux. La presse satirique se délectera de cette forme d'expression qui flirte toujours avec la parodie. Les équipes d'Hara-Kiri et Charlie Hebdo s'en donnent à coeur joie: détournement de l'actualité, leçons de bricolage du professeur Choron, le sexe et la nudité sans tabou atteignent un degré rarement égalé de comique trash et de délire absolu. Sans oublier la vidéo hilarante des Nuls, "Nous Quatre" avec Chantal Lauby et Gérard Darmon dans les rôles principaux.

Couverture de Satanik n° 14 Le Masque de la mort , France, 1967. Collection particulière. Cliché: © Josselin Rocher

Couverture de Satanik n° 14 Le Masque de la mort , France, 1967. Collection particulière.Cliché: © Josselin Rocher

© / Cliché: © Josselin Rocher

Une fenêtre sur l'art

Au tour des artistes de s'emparer de cette forme qui mélange à la fois la photo et le texte. Chacun explore des jeux narratifs originaux dans le détournement, la poésie, l'onirisme ou l'abstraction. Le chef-d'oeuvre du genre est incontestablement le film de Chris Marker, La jetée sorti en 1962. Dans ce récit de science fiction, composé d'images fixes et d'une voix off, l'artiste réussit la gageure de déconstruire le cinéma traditionnel et donner un second souffle au roman-photo. C'est une plongée poétique dans un album où le narrateur éprouve l'impossibilité de figer la réalité de ses souvenirs. Le film fait des émules et libère le potentiel créatif et fictionnel du genre.

Duane Michals, photographe américain, réalise à partir des années 70, des petits formats d'histoires oniriques où les couples se rencontrent et les anges passent dans un dialogue muet. Quant aux situationnistes emmenés par Guy Debord, ils piocheront dans l'imagerie populaire des magazines, de la publicité pour y transposer leurs textes critiques de la société de consommation. Sorti de son cocon amoureux, le roman-photo s'est ouvert à d'autres expériences narratives et esthétiques, à contre courant de ses débuts. Vraiment? L'installation de l'artiste espagnole Eugènia Balcells est un mur entièrement recouvert de Baisers de Fin de roman photo, comme un écho aux origines de l'histoire.

Jacques Monory

Extrait de Deux, de Jacques Monory (images) et Franck Venaille (texte), Paris, 1973. Collection de l'artiste Jacques Monory

/ © Adagp, Paris, 2017. Cliché : Josselin Rocher

Scénographie Mucem Exposition Roman-Photo Décembre 2017 (c) Francois Deladerriere

Installation de l'artiste Eugènia Balcells, "Fin" 1978-2010. Scénographie Mucem Exposition Roman-Photo Décembre 2017

/ © Francois Deladerriere/Mucem/SdP

Roman-Photo, exposition jusqu'au 23 avril 2018 - Mucem à Marseille - Livre catalogue , édition Textuel / Mucem, 39 euros.

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