Introduction
Pour commencer ce billet par un élan d’honnêteté et de transparence, je précise que je déteste moi aussi les billets de type « top » ou liste de solutions miracles pour progresser (« Ces 5 astuces feront de vous un meilleur photographe !« ). Mais dans le cas présent, je n’avais ni mieux, ni plus juste, pour refléter le contenu du billet, donc… on va faire avec.
L’idée m’est venue en regardant dans le rétroviseur, et aussi parce que je pense être arrivé à un moment charnière de ma pratique (charnière qui sera décrite lors de ce billet, on y revient après). Cela fait maintenant 10 ans que j’ai commencé la photographie, pas toujours correctement (c’était même carrément n’importe quoi au début), avec des longues périodes d’arrêt, d’autres très intensives, et avec sérieux disons depuis 2013. Comme je le dis de temps en temps, je fais aussi de la musique, cette fois sans arrêt depuis environ 13 ans. De la pratique de ces deux arts, de leurs deux apprentissages et des différences entre ces apprentissages, j’ai tiré quelques constats, que je théorise ici. Alors, ils sont certainement empiriques, et personnels, mais comme pour le reste du Blog, ils ont plus vocation à ouvrir des pistes de réflexion vis-à-vis de votre pratique qu’à vous donner des réponses clef en main. Donc on va dire que ça passe.
Pourquoi photographier ?
En voilà, une putain de question. Parce que l’air de rien, si vous avez atterri ici, à moins que l’on vous y ait forcé, c’est parce que vous souhaitez progresser en photographie, ou que du moins cette problématique vous intéresse. Mais progresser… pourquoi faire ? Je vois difficilement comment on peut imaginer progresser dans une quelconque discipline si on a pas a minima une idée de pourquoi on la pratique. Que le but soit lointain et flou, soit, tous les joueurs de tennis ne veulent pas gagner Roland Garros, mais diantre, personne n’arrive sur le court par hasard.
Et cette question, la raison pour laquelle on produit des photographies, ne trouve pas aisément une réponse . La première qui viendrait à l’esprit serait une soupe du genre « Partager ma vision de ce que je trouve beau ». Mais on va commencer par une petite histoire, qui nous permettra de prendre le recul nécessaire pour casser ce joli cliché. Eh oui, pas de grosse pelle aujourd’hui, je la joue Père Castor.
Christopher Anderson est un photographe membre de la célèbre agence Magnum Photos. Photo-reporter, il prend part en 2000 à une expédition de migrants, dans une petite embarcation, au départ d’Haiti et ayant pour destination les Etats-Unis d’Amérique. Bon, jusque-là, ça n’est pas Pirates des Caraïbes niveau sensationnalisme, mais vous avez le contexte de départ. Lors de ces quelques jours en mer, il ne prend pas de photographies, l’ambiance n’y est pas, malgré le fait que tous les gens qu’il accompagne savent qu’il est là pour fournir, par l’image, le récit de leur voyage. Il ne se sent pas à l’aise, occidental au milieu de ces gens risquant leur vie pour rejoindre un monde meilleur.
Seulement voilà, les choses se gâtent (sinon ça serait vraiment une anecdote moyenne et inutilement longue) : le bateau se met à prendre l’eau. Ça n’est pas rapide, mais petit à petit, l’eau envahit la cale et les personnes à bord se font à l’idée qu’elles vont y rester. Christopher Anderson pense à ce moment-là qu’il va mourir, un de ses compagnons d’infortune lui dit alors : « Christopher, tu devrais prendre des photos ». Ce qu’il se met à faire, photographiant ce qu’il pense être ses derniers instants avant la douce et agréable étape de la noyade.
Alors que tout le monde a abandonné l’espoir de survivre, un bateau (d’une ONG si ma mémoire est bonne) vient les secourir. Vous deviez vous en douter un peu, sinon ces images et l’histoire qui va avec auraient sûrement fini au fond de l’océan ou dans le ventre d’un requin. Tout le monde survit, et il en restera des images poignantes emplies tant d’espoir que de désespoir.
Cependant, depuis que j’ai appris cette histoire, une question m’obnubile : Si on fait de la photo pour partager notre vision du beau (gnia gnia gnia), pourquoi est-ce qu’Anderson a pris des photographies de la pire des situations (sa propre mort à venir) dont il était alors certain que personne ne les verrait ? Vous voyez le problème. C’est quand même dingue, il s’est mis à photographier quand il a compris que c’était la fin (pas avant) et que personne ne verrait ce travail (les pellicules et l’Océan, ça ne fait pas bon ménage quoiqu’il arrive au photographe).
La réponse, à notre question, est au final toute simple, et sûrement donnée par Susan Sontag dans son fameux ouvrage Sur la photographie :
Photographier, c’est conférer de l’importance
Susan Sontag
Une fois que cela est dit, on a quasiment la réponse. Il faut donc envisager cet acte comme une finalité, et non comme le début d’un processus visant à aboutir à du partage, ou que sais-je d’autre. On photographie pour photographier, c’est là le début de tout. Et c’est assez logique quelque part, combien de pellicules restent dans les laboratoires sans que personne ne vienne les récupérer ? Combien de photographies sont copiées sur des disques durs sans jamais être regardées ?
Photographier c’est conférer de l’importance. Il y a 10 000 raisons de photographier : exprimer sa créativité, enregistrer des souvenirs, enregistrer un point de vue sur le monde, s’approprier les choses, vouloir raconter des histoires, vouloir changer cette perception du monde, mais toutes ces raisons partent de là : ce à quoi on veut conférer de l’importance. Et cela reste valable quelque soit la façon dont sont utilisées les images, que ça soit comme document, propagande politique, pornographie, journal personnel, art, fiction, métaphore, poésie…
Trouvez ce qui a de l’importance pour vous, vous saurez pourquoi vous photographiez, et donc, pourquoi vous voulez progresser. C’est ce que Vassily Kandinsky appelle la « nécessité intérieure » dans son ouvrage Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier (présent dans la bibliographie)1.
Pour lui cette nécessité intérieure naît de trois raisons mystiques :
- Chaque artiste, en tant que créateur, doit exprimer ce qui lui est propre (élément de la personnalité). Bon, ça normalement y a pas besoin de le détailler.
- Chaque artiste, en tant qu’enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à son époque (via le style, de l’époque, composé du langage de cette époque et du langage de la nation, tant qu’elle existe comme telle). Au passage, ça veut aussi dire qu’une œuvre n’est jamais intemporelle, et forcément le fruit de son époque, et d’une nation. D’où les courants faisant école : Street photography américaine, japonaise, humanisme français, etc.
- Chaque artiste, en tant que serviteur de l’art, doit exprimer ce qui est propre à l’art en général (l’élément de l’art pur et éternel que l’on retrouve dans l’œuvre de chaque artiste, quels que soient les hommes, les peuples, les nations, les époques) et ce qui, en tant qu’élément principal de l’art, ne connaît ni espace ni temps.
Donc, pour résumer, vous photographiez pour donner de l’importance, c’est le résultat de votre « nécessité intérieure », qui propre à chacun, et qui naît de la savante cuisine des éléments ci-dessus. Ha, et tant qu’on y est, je ne résiste pas à l’envie de remettre un gros taquet, l’occasion est trop belle, la pelle trop proche, et moi trop faible. Donc, à ceux qui pratiquent cela : les couchers de soleil, les coccinelles, les portraits plein de bokeh à pleine ouverture : juste pour savoir, c’est vraiment important pour vous ? C’est quoi le lien avec votre nécessité intérieure ?
Bref, prenez le temps d’y réfléchir, là on va entrer dans le vif du sujet.
Le progrès photo en 3 étapes
On peut résumer les étapes du progrès en photographie, avec le schéma ci-dessous. Bien entendu, comme son nom l’indique, il s’agit d’un schéma, pas d’une vérité sacro-sainte. L’idée est plus de présenter les étapes principales que de fournir un rétro-planning applicable et effectif. D’ailleurs, il aurait été un peu plus pertinent de ne pas utiliser des cercles (qui font penser que les étapes s’enchaînent mécaniquement) mais de les lier un peu plus graphiquement. Mais comme je suis mauvais quand il s’agit de PowerPoint, on s’en satisfera. Par contre, notez que je me défends bien avec Excel, certes on s’en fiche ici, mais comme ce n’est pas le genre de truc que l’on peut dire tous les jours, je saisis l’occasion.
L’ordre des étapes est aussi important. Non pas que certaines étapes ne peuvent pas être étudiées un peu en amont (de la culture en même temps que de la théorie par exemple), mais disons simplement qu’à ce moment-là de votre pratique, ça n’est pas vraiment le souci premier. Bref, on va détailler de quoi il en retourne, histoire de mettre les choses au clair, comme la lune sur une mélodie de Beethoven.
Etape 1 – Théorie
L’apprentissage de la théorie est l’étape par laquelle tout le monde commence, le grand démarrage. J’entends par théorie (en photographie) tout ce qui concerne la maîtrise de la production des images au sens large : réglages de votre appareil, choix des objectifs, choix des formats d’images, de leur traitement, composition, et ainsi de suite.
C’est l’étape où vous venez d’acheter votre appareil (c’est un peu compliqué de démarrer sinon !), et où vous souhaitez juste « faire marcher le bouzin ». Il n’y a rien de mal, on y passe tous. J’ai inclus la pratique dans cette étape, notamment parce qu’on y expérimente beaucoup : on lit, on essaie, on teste, on apprend.
C’est une étape du parcours photographique qui peut devenir un piège, beaucoup de personnes n’en sortant jamais. Elles tournent en rond à l’intérieur de celle-ci, et pensent véritablement progresser en s’y acharnant. Ce n’est pas une critique, on ne peut pas reprocher à quelqu’un de ne pas ouvrir une porte quand il ne sait pas qu’il y en a une. C’est un fait qui est dû à plusieurs éléments :
- C’est un sujet qui est au cœur des médias parlant de photographie. Ou du moins de 90% d’entre eux (en terme de volume). Que ça soit Phototrend, Focus-Numérique, Nikon-Passion, Le monde de la photo, Deviens-photographe, Fotoloco, F1.4, etc., tous diffusent quotidiennement des informations sur le dernier objectif, le dernier boîtier, ou la nouvelle méthode pour réussir une belle photo de nuit. Objectivement, on ne peut pas leur en vouloir, c’est un contenu qui est facile. Facile à produire (les nouveautés sont quotidiennes et il est aisé de commenter et synthétiser des fiches techniques ou de vulgariser autour de pratiques basiques), faciles à lire pour les lecteurs. Parler de sujets populaires c’est la garantie d’avoir un peu de trafic et de pouvoir continuer à exister. Rien de nouveau sous les tropiques. Mais pour le lecteur-photographe qui ouvre son Feedly ou sa page Facebook une fois par jour et est noyé là dessous, c’est un peu difficile de voir au-delà. C’est aussi une vision extrêmement stéréotypée de la pratique qui est diffusée : Paysages HDR, Portraits très travaillés, bref, tout sauf l’expression personnelle qui se doit d’être au cœur de la pratique (j’en parle dans ce billet : Et j’ai quitté les internets).
- C’est une étape rassurante pour la personne qui débute : des pratiquants a priori plus expérimentés (des « experts »), des sites web installés et reconnus dans le paysage médiatique lui donnent des conseils. Donc elle est en droit d’imaginer qu’en les appliquant, elle atteindra un niveau convenable tel qu’il lui est présenté. Ce n’est pas totalement faux, mais une partie du progrès (dans toute discipline d’ailleurs) c’est de savoir sortir de sa zone de confort et se dépasser. Si on reste dans le gentil cercle de : je lis / j’applique / j’apprends, c’est tant monotone que pauvre en perspective, comme un Bleu d’Yves Klein.
- Vous êtes passifs. Cela veut dire que vous ne faites rien pour aller chercher le contenu dont vous avez besoin. Vous prenez ce qui vous intéresse dans le flux proposé, mais ce n’est pas vous qui construisez votre réflexion. Encore une fois, au début c’est normal, mais ça n’est pas viable sur la durée. Enfin, sauf si vous ambitionnez seulement de faire des paysages très nets, là, c’est ok.
Cependant, attention à ne pas mal interpréter mon propos : apprendre la photographie, ça passe forcément par la théorie à un moment ou à l’autre, et en quantité variable selon les individus et les besoins. C’est nécessaire et il n’y a rien de mal à ça. Cependant, il faut être conscient que c’est une étape dont il faut sortir à un moment, ce qui n’est ni aisé, ni évident au vu du contexte et de l’état du web francophone (voire de tout le web) sur le sujet. Au passage, pour approfondir le débat sur ce sujet, je vous conseille de lire cet article (très tranché) d’Aurélien Pierre : 5 astuces ultimes pour améliorer vos photos.
Etape 2 – Culture
Il s’agit de la deuxième étape de la progression que je vous présente, le deuxième cercle, où les lassitudes du premier vous emmèneront : la culture. Cette étape là, c’est un peu mon royaume (pas dans le sens où je le dirige hein, mais où je vis). L’idée de base n’est pas d’apprendre par cœur l’histoire de la photographie, en espérant que les retombées sur notre pratique soient bonnes, mais plutôt de se faire une idée du champ des possibles. La première étape est certes utile, mais a tendance à nous brider, à ordonner notre esprit d’une façon qui nous dessert par la suite. La logique de l’étape précédente est : pour obtenir ce résultat X, appliquez cette solution Y. Mais personne nous vous dit jamais pourquoi on voudrait obtenir X, qui l’a déjà fait, s’il a vraiment utilisé Y, et si ce résultat X on n’en a pas déjà fait le tour. C’est là qu’intervient la culture.
Cette fois, il vous faudra être actif, le contenu ne vous sera jamais fourni de façon prémâchée, prêt à être digéré, et réutilisé. Ce sera à vous de vous construire cette culture (cette idée juste, précise et documentée du champ des possibles) , et c’est d’autant plus vrai que le niveau s’élève. Autant il est facile de trouver une documentation fiable sur des grands noms et courants de la photographie, autant si vous vous attaquez au sens philosophique de l’image et de son fonctionnement (qui font autant partie de la culture que le reste), bah là, il va falloir creuser un peu.
En revanche, point commun avec l’étape précédente : cela influe tout autant sur votre pratique, et il existe une sorte de cycle du type : je découvre / j’essaie de faire pareil / j’apprends / j’en garde quelque-chose. Ce sujet était d’ailleurs au cœur de l’ouvrage Influences : un jeu photographique de Jean-Christophe Béchet, que je ne peux que vous (re)conseiller de lire.
Concrètement, comment cela va se passer ? Eh bien, il va vous falloir vous farder la dose de bouquins, et il n’y a pas de façon d’y échapper. Même si je vulgarise beaucoup ici et que j’essaie de diffuser les idées qui m’ont marqué, rien ne vaut la lecture et l’appropriation du contenu par soi-même. Et quand je parle de lire, je parle de vrai bouquins (monographies, ouvrages thématiques, biographiques, essais) comme ceux présents dans la bibliographie, pas juste d’un ouvrage du type « La corse vue par Mamie Jacqueline » reçu à Noël et lu une fois tous les 2 ans. Le mieux étant de prendre des notes au passage des idées, marquantes, sinon on les oublie (oui, le cerveau est ingrat).
Bon, ce n’est pas forcément l’étape la plus évidente du parcours (vu que l’on passe de passif à actif), mais sans doute la plus enrichissante. C’est pendant celle-ci que j’ai décidé de rédiger le Blog. N’ayant pas trouvé le contenu qui m’intéressait sur le web, et ayant le cerveau plein d’idées, j’ai pensé que ça serait une bonne idée de mettre ça en ligne (j’en parle ici : La règle du Game).
Le fait est que maintenant, je pense avoir fait le tour du sujet, de ce que ça pouvait m’apporter. C’est arrivé d’un coup, comme une fusée sur la Lune. Un jour, je me suis rendu compte que je n’avais plus trop envie d’investir dans des bouquins, parce que j’y avais déjà appris ce que j’avais à y apprendre. Non pas que je sache tout, loin de là, mais disons que si je dois continuer à progresser ça ne sera plus le meilleur moteur. Je peux comparer mon ressenti à celui d’un amateur de vins : au début on goûte un peu tous les vins, on lit des ouvrages génériques, puis spécialisés, histoire de se faire une idée générale du « champ des possibles ». Une fois que c’est fait, on achète ceux que l’on apprécie, et quelques bouteilles par-ci par-là pour suivre ce qui se fait. Bah là, c’est un peu pareil, j’ai beaucoup appris sur la photographie au sens large, mais maintenant, je vais plus me concentrer sur quelques sujets précis. Je pense notamment à l’édition de livres : la bibliographie compte assez peu d’ouvrages de photographes réalisés par les photographes. Il y en a beaucoup qui parlent de plusieurs photographes, beaucoup sur untel ou untel, mais assez peu par la personne. Je m’en suis rendu compte en lisant les Photobook : A History (Vol 1, 2 et 3) de Parr & Badger. Ce n’est pas un mal, pour avoir une vision d’ensemble c’est plus pratique ainsi (du coup, ça n’invalide pas la composition de la bibliographie), mais c’est un sujet essentiel de l’histoire de la photographie que je vais continuer à creuser. J’en ferai sans doute un billet 😉
Etape 3 – Pratique
Bref, si je vous ai raconté tout ça, c’est pour souligner le fait que si je suis passé consciemment de l’étape 1 à l’étape 2, eh bah, je me suis retrouvé dans la 3 un beau matin sans même savoir qu’elle existait. Comme pour l’étape 1, on doit pouvoir rester indéfiniment dans la deuxième. Mais il y aura sans doute un moment aussi où vous sentirez que ça n’est plus le meilleur moyen d’avancer.
L’étape 3, est extrêmement simple à résumer : Faites un putain de bon boulot. C’est tout. Par contre, il faut bien comprendre comment ça fonctionne. Je vais prendre un exemple qui parlera aux lecteurs de ma génération : Son Goku et le haricot magique. Son Goku est un personnage de manga/dessin animé, où grossièrement le but c’est de devenir le meilleur guerrier, c’est comme ça. Dans une de ses premières aventures (je raconte ça de mémoire), son maître lui dit qu’en grimpant en haut d’une tour, il trouvera un coffre contenant un haricot qui fera de lui le meilleur des guerriers. Ni une, ni deux, notre héros s’embarque à la conquête de ce haricot. C’est pas le genre à rechigner à la tâche.
Seulement voilà, arrivé en haut, il tombé sur un vieux maître hyper fort. Et ils se battent pendant des plombes et des plombes (honnêtement, je ne sais pas combien d’épisodes ça dure, mais j’ai l’impression que cette histoire m’a coûté la moitié de mon enfance). Au bout d’un moment, Son Goku parvient à battre le vieux maître, et il a le droit de prendre le haricot dans le coffre, à la fois fier et ému de cette victoire, qui restera longtemps gravée dans son petit cœur. Après l’avoir ingéré, il se rend compte que celui-ci ne lui fait… absolument rien. En fait, c’était en combattant le maître, en pratiquant, qu’il est devenu le meilleur de tous les guerriers. Eh bien, le progrès en photographie ça ne fonctionne pas du tout comme ça. Genre, pas du tout du tout.
Il ne faut pas s’imaginer que c’est en pratiquant, en répétant sans cesse, en photographiant beaucoup que l’on arrive à un résultat exceptionnel. Il n’y a pas de rapport du type : quantité du travail fourni => résultat de qualité / intérêt du résultat. Il faut impérativement comprendre ça. Vous pouvez travailler des années sur un projet, y passer tout votre temps libre, cela ne garantit rien du résultat final. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. L’important n’est pas de travailler beaucoup, mais de travailler bien. Et ça, c’est facilité par les deux étapes précédentes (c’est pour ça que je les inclus dans le schéma) : vous maîtrisez la technique et savez comment obtenir chaque chose dont vous aurez besoin, et vous connaissez le « champ des possibles » et savez placer votre projet dedans. Maintenant, l’important c’est de se poser les bonnes questions au bon moment, de construire son projet, et de se faire aider quand il le faut (édition, tirages, livres, etc.).
Si je considère que la pratique est source de progrès, c’est parce qu’il y a beaucoup à apprendre de soi, en analysant nos productions passées. C’est quelque chose que je ne soupçonnais pas jusqu’à ce que j’écrive les making-of de tous mes projets l’été dernier. C’est l’occasion de comprendre nos choix, nos erreurs, d’y réfléchir, et de voir dans quelle mesure on peut améliorer les choses la prochaine fois. Dans chaque projet j’ai fait des conneries que je ne ferai pas dans le prochain, et ainsi de suite. Et, ça aucun bouquin ne peut vous l’apprendre. Tout comme aucun livre, aucune masterclass, ou aucun tuto des internets ne vous apprendra à faire un putain de bon boulot. Au final, ça viendra toujours de vous à 90%, et la seule façon d’y arriver, c’est de s’y coller pleinement.
Qui écouter ?
Il vous arrivera sans doute, à n’importe quelle étape de ce processus d’apprentissage / progression d’avoir besoin d’aide. C’est tout à fait normal, et on ne peut pas faire sans. D’ailleurs, si ça peut vous rassurer, tous les grands photographes (j’entends par là ceux ayant laissé une oeuvre marquante) ont eu besoin d’un coup de main à un moment ou un autre. Que ça soit pour écrire un livre, comme Robert Frank pour Les Américains, que Robert Delpire a aidé pour l’édition, ou Cartier-Bresson, influencé par les membre du groupe des surréalistes, tout le monde y passe. La seule question restante étant : où trouver cette aide ?
Et sa réponse est aussi simple que pragmatique : au-dessus de vous. L’idée de base, c’est d’aller chercher conseil auprès des gens qui sont meilleurs que vous, enfin plus avancés, ou qui s’y connaissent bien. Pour être tout à fait concret : il vaut mieux demander des conseils à une personne en qui vous avez confiance, plutôt qu’à 10 000 inconnus sur un groupe Facebook, dont les retours seront tout ce qu’il y a de plus variable et de peu fiable. C’est ce que je fais moi-même, il suffit de savoir chercher et d’un peu de verve.
La plupart du temps c’est lors de vernissages d’expositions que je vais discuter un peu avec les artistes quand ils sont présent, ou alors j’emploie la méthode la plus bête du monde : j’envoie un mail. Cela peut avoir l’air d’une bouteille à la mer, mais la plupart des gens répondent, et sont même contents de le faire.
Quand vous demandez conseil, il y a deux éléments à garder à l’esprit :
- Ce ne sont pas forcément les photographes qui s’y connaissent le mieux en photographie, tout comme les peintres ne sont pas tous des historiens de l’art. Il faut savoir faire la part entre les deux. Par exemple, je prends un rendez-vous de temps en temps (environ une fois par an) avec la curatrice du Centre photographique d’où j’habite (c’est lié au FRAC, il y en a sûrement un près de chez vous). Bah, même si la personne ne pratique pas, je n’ai jamais eu de conseils plus avisés que là-bas. En général j’y passe une heure, et j’ai de quoi réfléchir / bosser pour 3 mois. C’est même une bonne chose, parce qu’il n’y a jamais un fond de « moi j’aurais fait comme ça » dans ce qu’on pourrait vous dire.
- La qualité des conseils n’a pas de rapport avec l’âge de la personne qui les profère, ni avec ses années de pratique. On peut pratiquer une discipline pendant 40 ans, et la pratiquer n’importe comment. Puis, fort de ces années, donner ses conseils à qui en veut à la moindre occasion. Il faut se méfier de ça, c’est assez courant sur les forums dédiés à la photographie. Le fait qu’avec l’âge, on a un peu plus de temps à y consacrer n’y arrange rien.
Bref, tout ça pour dire que si vous avez besoin d’aide, et qu’une personne vous inspire (sur dans un magazine, un réseau social, un site web, la vraie vie, ou que sais-je d’autre), n’hésitez pas à aller demander un peu d’aide. On en revient souvent moins bête.
Conclusion
J’espère que ce billet, qui je le rappelle est empirique et personnel (mais que je pense proche d’une certaine réalité), vous aidera un peu à vous situer dans votre parcours, à évaluer le chemin parcouru et celui restant à parcourir. On terminera sur cette citation de Kandisky, issue de l’ouvrage cité précédemment :
Sur les chemins complexes de ce nouveau royaume, qui se présentent au pionnier traversant de sombres forêts vierges, franchissant des gouffres vertigineux près de cimes désolées; longeant des abîmes sans fond et s’enchevêtrant en un réseau inextricable, c’est toujours le même guide infaillible qui le conduira – le principe de la nécessité intérieure.
V. Kandisky
Quoiqu’il en soit, et as always, si vous avez des questions, vous savez où les poser. Prenez des photos et soin de vous, à plus dans l’bus !
Notes :
- Bien que le concept présenté soit pertinent dans le cadre de ce billet, je ne vous conseille pas de lire cet ouvrage. Enfin, disons qu’il est très intéressant, mais réservé à un public relativement avancé dans sa connaissance de l’art, la peinture et de la philosophie qui les entourent. Si vous voulez vous intéresser à la philosophie de l’art, je vous invite à lire La philosophie de l’Art, d’Absensour, que j’avais présenté dans 5 livres à lire cette année (2017) ↩︎
Pendant l’écriture de ce billet, je me suis bercé des douces mélodies d’Agnès Obel :
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