Haut lieu annoncé du photojournalisme, le monument expose aujourd’hui des portraits de Sting ou Maître Gims. Pourquoi cet étrange changement de cap ?
Publié le 08 avril 2019 à 17h45
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h57
A sa réouverture en juin 2016, après six années de travaux, le toit de la Grande Arche de la Défense redevient enfin accessible au public. Pour financer les frais titanesques de restauration, l’État- qui en est propriétaire, négocie un PPP (partenariat public-privé), qui consiste à faire appel à un prestataire privé pour financer et gérer un équipement contribuant au service public.
L’entreprise Eiffage remporte l‘appel d’offre, dans lequel il est stipulé que dans l’espace vide du toit de la Grande Arche, l’opérateur peut tirer partie du lieu, avec comme contrainte l’obligation de servir à des activités culturelles grand public et à l’insertion sociale. Dès lors, l’État devient nu-propriétaire (sans jouissance du lieu) et rembourse les travaux à l’entreprise Eiffage sous forme d’un loyer, payé sur vingt ans. Eiffage, dont la gestion d’espaces culturels n’est pas le métier, sous-traite à la société City One 111, société d’accueil et d’évènementiel.
Après appel à projet culturel, elle retient celui de Jean-François Leroy, créateur et directeur de Visa pour l’image, le Festival du photojournalisme qui se déroule à Perpignan depuis maintenant 30 ans. L’idée est de présenter quatre expositions monographiques par an, consacrées à une signature du photojournalisme encore vivante.
En juin 2017, les ascenseurs panoramiques déposent le visiteur à l’entrée d’un gigantesque espace de béton brut de 1200 m2 désormais dédié à l’actualité du monde. On y voit d’abord des images bouleversantes de la photographe américaine Stéphanie Sinclair avec sa série « Too Young to Wed » accompagnées de textes dénonçant la condition des femmes à travers la planète et les mariages forcés des petites filles. Suivra quelques semaines plus tard la rétrospective de l’un des plus grand photographe documentaire de son époque, Eugène Richards sur les laissés pour compte de l’Amérique. Puis ce sera au tour de Guilaume Herbaut de témoigner de l’Europe contemporaine, avant l’accrochage en octobre 2018 de « Seulement humain », réunissant des clichés pris à travers l’Afrique par Pascal Maitre. La belle série s’arrête brusquement.
“Veuillez nous excuser pour ce désagrément ”
Dès janvier 2019, l’accrochage de « Souvenirs d’avenir » de Jean-Marie Perier montrant des portraits d’artistes des années 60 et 90 remplace les sujets d’actualité. Que s’est il donc passé ?Sur le site de la Grande Arche, il n’est même plus fait mention de ces quatre expositions consacrées aux photoreporters.
À la place on peut lire ce jour, 3 avril 2019, un message : « Chers visiteurs, fermeture de l’exposition du lundi 1er avril au 4 avril, veuillez nous excuser pour ce désagrément. » Des interruptions brutales et fréquentes de programmation, qui nécessitent le démontage des expositions pour céder la place à des événements privés ou des animations comme La ferme sur le toit ( du 20 et 22 avril ), incompatibles avec un accueil de visiteurs venus jusqu’ici pour voir une exposition. L’obligation de monter/démonter en permanence les photos ( en plus mal réinstallées par du personnel non spécialisé dans l’accrochage d’œuvres ), finissent par avoir raison de la motivation de Jean-François Leroy, qui jette l’éponge.
Quand on interroge Corinne De Conti, manager à City One 111 pour le Toit de la Grande Arche, sur ce changement de cap dans la direction artistique, la réponse (économe) est : « Le toit de la Grande Arche est à la fois un lieu touristique et culturel. Le changement que vous évoquez nous permet d’accueillir un public très large, de tout âge. » Doit-on comprendre que des images en noir et blanc de personnalités du monde du spectacle, affichées en 4x3, correspondent enfin aux attentes culturelles du grand public ?…
On peut aujourd’hui déplorer que le cahier des charges établit au moment du PPP n’ait pas été plus rigoureux pour garantir sur ce toit de la capitale des activité culturelles en prise, sur le fond comme sur la forme, avec la réalité et les questions qui agitent le monde contemporain. Finalement les pouvoirs public donnent le sentiment de se désintéresser de cet espace, pourvu qu’il attire suffisamment de touristes, prêts à débourser 15 € l’aller et retour en ascenseur. Après tout, l’opérateur « tire partie du lieu » comme bon lui semble, c’est dans le contrat ! Et tant pis s’il mélange culture et animation culturelle...
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