Une bâtisse avec une façade à moucharabiehs presque anodine aux Almadies, quartier résidentiel de Dakar, tout à l’ouest de la presqu’île du Cap-Vert. C’est ici que vit l’un des photographes les plus prometteurs de sa génération et star montante de son art à seulement 41 ans : Omar Victor Diop. Et c’est là qu’il travaille, seul, dans son Studio des vanités.
Une fois dans la maison, le sentiment de banalité s’estompe immédiatement : un espace ouvert de 150 m2, organisé autour d’un immense puits de lumière zénithale, avec un petit impluvium pour favoriser une circulation d’air frais. Palmiers, bananiers, oiseaux de paradis et arbres du voyageur y vivent très bien. Car le photographe est aussi jardinier et a la main verte : sur le toit terrasse, l’artiste cultive aromates, tomates, fraises, grenades, mandarines, pamplemousses, citrons, courgettes, potimarrons et goyaves.
« Le chantier a duré près de deux ans. Je suis parti voir des architectes à Dakar avec des plans assez précis. Très peu de choses ont été changées. Cette maison marque mon ancrage au Sénégal. Car c’est un privilège de pouvoir vivre de mon art et de ne pas vivre dans l’exil de l’artiste africain comme la génération précédente », précise Omar Victor Diop.
Dans une autre vie, l’artiste travaillait comme cadre dans une multinationale après un master de gestion obtenu à Dakar puis un autre en gestion de projets à l’ESCP de Paris. Dernier enfant d’une fratrie de six (trois filles et trois garçons, dans l’ordre, même père, même mère), ses responsabilités ne lui laissent que peu de temps libre. Le week-end, il s’amuse à la photographie, son violon d’Ingres.
« Une proposition narrative de la réalité africaine »
Pensant que ce monde ne lui est pas accessible en tant que professionnel, lui qui n’a pas suivi une formation initiale en école d’art, il poste sans conviction ses photos sur son profil Facebook. Mais c’est compter sans l’insistance d’un ami qui lui fait comprendre que son travail est digne du regard du jury des Rencontres africaines de la photographie de Bamako (Mali). Nous sommes en 2011.
André Magnin, commissaire d’exposition et galeriste d’art contemporain, se souvient de sa première « rencontre » avec Omar Victor Diop : « Je l’ai “découvert” voilà dix ans. C’était aux Rencontres de la photographie d’Arles. Il y avait sur les grilles qui séparent le boulevard des Lices du Jardin d’été de nombreuses affiches du festival off. J’en ai repéré une qui représentait une femme assise dans une position très élégante et qui portait une robe constituée de bouteilles en plastique aux reflets bleus. J’ai trouvé cette image fort belle et c’est à partir de cet instant que je me suis mis en tête de chercher l’auteur et de le rencontrer. »
Ce n’est que quelques mois plus tard que les deux hommes se rencontrent à Paris. A l’époque, l’artiste n’a pas de représentant et apprécie la programmation de la galerie d’André Magnin. Notamment bien sûr celle des grands précurseurs de la photo de studio africaine : les Maliens Seydou Keïta (1921-2001) et Malick Sidibé (1936-2016), le Sénégalais Mama Casset (1908-1992) ou encore l’artiste d’origine camerounaise Samuel Fosso (né en 1962). Et c’est ainsi que le Français, qui apprécie « la qualité de son travail », lui propose l’exclusivité afin de gérer les propositions qui commencent à arriver du monde entier.
Son travail, justement, Omar Victor Diop le définit ainsi : « Une proposition narrative de la réalité africaine fondée sur mon vécu, mon passé, telle que je la découvre dans mes recherches. Pour moi, il s’agit de prendre la parole en tant qu’enfant d’Afrique conscient de sa place dans le monde et soucieux de la qualité de la représentation qui est faite de ses peuples. »
« Comme un trombinoscope très endimanché »
Et tout commença avec la série Le Futur du beau. A l’époque, il photographiait dans son arrière-cour avec un appareil assez basique : « C’était une envie de revoir un peu le discours écologique et d’essayer d’avoir une approche ludique qui parlerait à un public moins ouvert à l’information scientifique et avec un ton moins accusateur. J’ai créé une garde-robe à partir des déchets de ma propre consommation en recyclant ce que j’avais sous le bras. »
Puis vint la série du Studio des vanités. Un ensemble qui n’aura « probablement pas de fin ». Comme un journal des rencontres que fait Omar Victor Diop dans son cheminement artistique. « Comme un trombinoscope très endimanché. » En espérant sortir bientôt de cette étrange période due à la pandémie et donner libre cours aux envies de nouvelles rencontres avec l’appareil photographique.
Avec la série Diaspora, les inspirations sont multiples. On passe de la peinture baroque avec Juan de Pareja (l’assistant de Diego Vélasquez) à la peinture néoclassique et romantique avec le portrait de Jean-Baptiste Belley (un révolutionnaire français né sur l’île de Gorée au XVIIIe siècle, premier député noir à la Convention nationale) peint par Anne-Louis Girodet, puis à des photographies de Frederick Douglass (un esclave affranchi devenu éditeur et fonctionnaire américain au XIXe siècle)… « Une collection de 18 personnages arrachés à leur continent, dont les destinées, bien que pouvant être racontées de manière héroïque, devaient être très solitaires », précise le photographe.
L’artiste puise des illustrations dans des manuels de botanique et d’histoire naturelle des XVIIe et XVIIIe siècles. « Flore et faune fictives que des hommes, en l’occurrence moi, se retrouvent à cajoler dans un esprit de regret. Le jour où nous aurons anéanti cette nature, il ne nous en restera que le souvenir », souligne-t-il.
« Le combat et les dynamiques restent les mêmes »
Grâce à Liberty, le sujet est plus politique. L’ensemble met en lumière les différents mouvements de résistance qui ont impliqué des Noirs. C’est le cas de l’affaire Trayvon Martin, un Afro-Américain de 17 ans abattu en Floride en février 2012, alors qu’il n’était pas armé, par un Latino-Américain qui surveillait une résidence fermée. Point de départ du mouvement Black Lives Matter.
Ou les révoltes estudiantines de Soweto sous l’apartheid en 1976, les Black Panthers, la première révolte d’esclaves réussie en Haïti en 1791 (qui débouchera sur la première République noire libre au monde en 1804). Sans oublier Aline Sitoé Diatta, « la Jeanne d’Arc sénégalaise », paysanne de la Casamance, visage féminin et féministe de la résistance au pouvoir colonial français aux pouvoirs mystiques, morte en exil dans un bagne à Tombouctou (Mali) à l’âge de 24 ans en 1944…
« Le combat et les dynamiques restent les mêmes. C’est bien plus que le combat des Noirs, c’est le combat pour la justice. On peut considérer Diaspora et Liberty [où Omar Victor Diop n’hésite pas à se mettre en scène] comme les deux tomes d’une même œuvre. Finalement, le sujet est la place de l’homme noir et de la femme noire dans le passé et le présent », affirme l’artiste. Et l’avenir ? Ce sera Allegoria, avec notamment un hommage aux traditions des textiles africains auxquelles le photographe est très attaché. Avec une composition très graphique, « très saturée ». « Mais le projet est encore en cuisine… », dit-il.
Pour Mabeye Deme, également photographe sénégalais, « les sujets [d’Omar Victor Diop] sont fiers. Il n’y a pas un côté victimaire. L’importance du dispositif – les décors, les tissus, la mise en scène – montre une photographie qui ne se veut pas naturaliste. Cette sensibilité politique me touche beaucoup ».
Le photographe, prisé des collectionneurs, a été choisi pour réaliser l’affiche de la saison Africa2020, projet hors norme voulu par le président Emmanuel Macron et conçu autour des grands défis du XXIe siècle afin de faire connaître et valoriser les différentes initiatives de la société civile du continent et de sa diaspora. Une affiche sans clichés : « Pas de chameaux, pas de wax, pas d’arabesque, [mais] valoriser des jeunes Africains fiers, modernes, inventifs », précise Souheil Ben Ali, directeur artistique au sein de l’agence Insign, qui a travaillé sur l’événement.
Enfin, André Magnin a confié les clés de sa galerie à l’artiste. Située dans le XIe arrondissement de Paris, on pourra y admirer à partir du 17 avril (date de la fin du nouveau confinement) l’exposition Héritage, consacrée aux grands portraitistes du continent (Mama Casset, Seydou Keïta, Malick Sidibé, J. D. ‘Okhai Ojeikere, Jean Depara ou encore Ambroise Ngaimoko). Pour le galeriste, il s’agit de « fêter cette année mes trente ans de relation avec la photographie en général et la photographie africaine en particulier. Et de célébrer les dix ans de ma collaboration avec Omar Victor Diop ».
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Héritage, carte blanche à Omar Victor Diop, à la galerie Magnin-A, 118 boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris. Du mardi au samedi, de 14 heures à 19 heures. A partir du 17 avril et jusqu’au 8 mai. Entrée libre.
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