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Le jour où Pierre Dubreuil, photographe lillois précurseur, est tombé dans l’oubli

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Ce n’est pas faute de talent que Pierre Dubreuil n’a pas inscrit son nom dans la postérité. De son vivant, le photographe né à Lille il y a 150 ans jouissait d’une renommée internationale. Mais l’Histoire efface parfois malencontreusement les traces. Et peu de Lillois le connaissent aujourd’hui.

Pierre Dubreuil fait partie de « cette pléiade d’amateurs fortunés qui, au tournant du siècle, se consacrèrent exclusivement à la photographie », peut-on lire sur le site du Centre Pompidou, dernier à lui avoir consacré une exposition monographique, avant le Palais des beaux-arts de Lille (PBA) actuellement(1). C’était en 1987.

Né en 1872 à Lille dans une famille aisée établie dans le commerce de papiers peints, Pierre Dubreuil s’essaye dès l’âge de 16 ans à la photographie, medium en plein développement à la faveur de l’invention de l'appareil-photo portatif en 1888.

Les années qui suivent sont faites de rencontres et de collaborations. Jean-Louis Delton, photographe hippique incontournable de l’époque. Puis Robert Pauli, un autre Lillois rencontré à la Société photographique de Lille et qui l’initiera aux tirages au charbon et platine-palladium.

« Durant sa période lilloise, Pierre Dubreuil donne des cours pour les autres membres de la société, participe à la création d'autres sociétés à Roubaix ou à Armentières, organise des expositions au café Genk, l'actuel hôtel Carlton de Lille, ou lors de l’exposition internationale de Lille en 1902... », énumère Alice Fleury, directrice des collections du PBA.

Mais ce qui va réellement faire connaître le jeune photographe, c’est l’exposition en 1896 de cinq de ses œuvres au Photo-Club de Paris. L’association défend la possibilité d’accéder à l’art par les techniques photographiques, un combat que Pierre Dubreuil ne quittera plus. Lui qui estimait que « tout travail devrait être l’expression d’une idée » et que « rien ne doit être laissé au hasard ».

Pierre Dubreuil, Ballerine, 1902. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel
Pierre Dubreuil, Ballerine, 1902. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel

Dès lors, le photographe se fait un nom dans le monde du pictorialisme. Le mouvement esthétique international qui caractérisera la photographie jusqu’à la Première guerre mondiale refuse de réduire la photographie à un procédé mécanique et scientifique et défend sa légitimité artistique. Mais Pierre Dubreuil s’inscrit dans une approche innovante du pictorialisme, celle prônée outre-Atlantique par son contemporain Alfred Stieglitz.

Raison sans doute pour laquelle ce n’est pas en France que le Lillois sera le plus reconnu. Devenu membre du prestigieux Linked ring brotherhood, il s’exile même momentanément à Londres en 1901 pour étudier le paysage.

Pierre Dubreuil, La Place de la Concorde, 1908. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel
Pierre Dubreuil, La Place de la Concorde, 1908. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel

Et s’il revient deux ans à Paris pour y photographier les monuments de la capitale, « ses cadrages imposant un premier plan qui obstrue la vue sont très incompris par la critique et lui valent une réputation d’artiste excentrique », explique Alice Fleury.

Pierre Dubreuil, Éléphantaisie, 1908. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel
Pierre Dubreuil, Éléphantaisie, 1908. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel

Et c’est ensuite outre-Atlantique qu’il participe à une exposition internationale de photographie pictorialiste en 1910, outre-Quiévrain qu’il devient président de l’association belge de photographie et de cinématographie en 1932, outre-Manche encore que la Royal photographic society de Londres lui consacre une rétrospective en 1935...

Pierre Dubreuil, Tempus fugit, 1923. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel
Pierre Dubreuil, Tempus fugit, 1923. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel

Bref, l’œuvre de Pierre Dubreuil apparaît dans toutes les grandes manifestations photographiques de l’entre-deux-guerres. Pourtant, au cours de la Première Guerre mondiale, le photographe, enrôlé comme ambulancier, se fait piller son atelier lillois, suspendant sa carrière jusqu’en 1923.

À son retour sur la scène photographique, l’âge d’or du pictorialisme est révolu, mais l’artiste rebondit en intégrant à ses œuvres une pointe de surréalisme belge. Sa femme et sa fille décédées, il s’installe à Bruxelles, y ouvre un bureau de tabac pour subvenir à ses besoins.

Pierre Dubreuil, Soulagement, vers 1930. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel
Pierre Dubreuil, Soulagement, vers 1930. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel

Pierre Dubreuil, The First Round ca., 1932. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel
Pierre Dubreuil, The First Round ca., 1932. Tirage moderne au palladium. Don Tom Jacobson - Palais des Beaux-Arts de Lille © PBALille / Photo J.-M. Dautel

Et c’est la Seconde (guerre) qui finira par mettre un terme à son rayonnement. Non pas parce que, malade et isolé, il décède à Grenoble en 1944. Mais parce qu’un an plus tôt, à court d’argent et « aussi pour assurer sa postérité » explique-t-on au PBA, il avait vendu ses négatifs à l’entreprise belge Gevaert qui sera... bombardée peu après.

Voilà comment l’œuvre de ce photographe novateur, auteur de véritables « tableaux photographiques », du titre de l’exposition lilloise, a été effacée de l’Histoire. Et ce n’est que grâce au don d’un collectionneur américain que nous pouvons redécouvrir son œuvre aujourd’hui, dans sa ville natale.

1. Jusqu’au 27 février 2023 au Palais des Beaux-arts de Lille.

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