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Expositions à ArlesQuand la photo fait de mauvaises «Rencontres»

Dans la neige, avec Klavdij Sluban. L’une des révélations d’Arles cette année.

Il n’y a pas eu d’édition en 2020. Encore aux manettes, Sam Stourdzé avait lutté jusqu’au bout comme un lion sans se faire entendre. Le directeur des «Rencontres» d’Arles s’était heurté au mur sanitaire et, contrairement à ce que veut l’adage, les murs n’ont pas d’oreilles. En 2021, son successeur Christoph Wiesner a réussi à monter une version comprimée de la manifestation. Je vous en avais parlé. C’était la déception, mais cette mouture possédait au moins le mérite d’exister. Qu’allait être celle 2022? La cinquante-troisième. Les amateurs de photographie se posaient bien des questions. Les voici résolues depuis l’ouverture le 4 juillet. Il s’agit d’un ratage, et le petit virus à la mode n’y est pour rien. L’ensemble s’est vu mal pensé. La réalisation ne pouvait pas sauver grand-chose. Il n’y a presque rien à retenir des quelque quarante expositions, la voilure demeurant réduite. On reste aujourd’hui assez loin des cinquante accrochages et plus qu’ont connu les «Rencontres» à leur apogée.

Compenser des retards

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le programme 2022 se veut largement, sinon majoritairement féminin. Il faut dire que le 8e art (autrement dit la photographie) a longtemps passé pour misogyne. Il fallait donc adopter ici la tendance lourde du moment. Si lourde qu’elle finit par en devenir pesante. Tout le monde s’est réveillé féministe cette année, comme si l’on avait découvert d’un coup l’importance des artistes du «deuxième sexe». Les organisatrices, et surtout les organisateurs s’accordent du coup un brevet de bien-pensance, alors qu’ils auraient pu monter les mêmes expositions il y a cinq, dix, voire cinquante ans. Honte à eux et à leur hypocrisie! La grande manifestation de la Mécanique Générale sur les avant-gardes féministes des années 1970 aurait paru fulgurante à l’époque. Elle était parfaitement réalisable. Je me souviens d’avoir vu des films (alors tout récents) de l’Autrichienne Valie Export au Festival de Locarno vers 1975. Aujourd’hui, il s’agit fatalement là d’un programme rétrospectif, avec le côté historique que la chose suppose. Sans parler du vieillissement. Terrible, surtout sur le plan de la forme.

Valie Export, une pionnière du cinéma féministe en Autriche.

Il y a en effet beaucoup de rétrospectives cette année à Arles, qui n’en offre pas moins sa prestigieuse église des Trinitaires au Prix Roederer. Un concours qui n’en méritait pas tant. L’Espace Van Gogh propose ainsi l’Américaine Lee Miller (1907-1977), qui fut successivement mannequin puis photographe. Elle a pris des clichés de mode, très honorables même s’ils demeurent en retrait par rapport à Cecil Beaton ou Horst P. Horst. Puis elle est devenue reporter de guerre, entrant parmi les premiers à Dachau ou à Buchenwald. C’est bien d’avoir organisé un tel accrochage. Mais cet hommage reste faible par rapport à celui récemment rendu à Lee par le Museum für Gestaltung de Zurich. Celui-ci montrait la femme jusqu’au bout, recyclée dans le livre de cuisine et cuite par l’alcool. Un étage plus haut, les «Rencontres» entendent révéler le Luxembourgeois Romain Hurhausen, aujourd’hui nonagénaire. Ce photographe «humaniste» méritait certes un regard bienveillant. Fallait-il pour autant l’écraser en le rapprochant de Robert Doisneau et d’Henri Cartier-Bresson? Une maladresse…

Lee Miller travaillant pour le «Vogue»anglais vers 1940. Du glamour féministe?

Il y a ainsi bien des désillusions accumulées, que rendent plus grandes encore les propos délirants des commissaires, fiers d’étaler leur verbiage en grand sur des panneaux qu’il devient du coup difficile de qualifier d’explications. On se demande à quoi servent ces Trissotin (1) et ces Trissotines dans une manifestation se voulant au départ populaire. Ils ne font que souligner l’appropriation par un petit milieu parisien de ce «Cannes de la photographie». Les racines locales ont été coupées. Piétinées. Rejetées. Nous sommes depuis des années à Arles dans un monde de bobos se croyant conscientisés et politisés. Avec les conséquences annexes que cela suppose. A Croisière, qui reste par ailleurs une belle friche immobilière située à quelques encablures de l’immodeste tour de Frank Gehry, la limonade coûte par exemple douze euros le litre. Mais elle fait bien à côté des salades «bio» et des hamburgers «vegan».

Babette Mangolte. De l’art de documenter des spectacles importants.

Tout serait-il donc à jeter dans cette foire où Christoph Wiesner déçoit presque autant que Simon Baker, promu à Paris directeur de la Maison européenne de la photographie? Non, heureusement. A Croisière précisément, j’ai pu voir la magnifique exposition de Klavdij Sluban sur le thème de la neige. Les images en noir et blanc recueillies durant des décennies au nord et à l’est de l’Europe sont mises en valeur par des palissades de bois foncé et des murs décatis. Un moment de bonheur. Très intellectuels dans la mesure où ils reposent sur les nouvelles technologies, «Les chants du ciel» n’en font pas moins rêver au-dessus du grand Monoprix de la place Lamartine. Et il faudra que je vous parle un jour longuement de la présentation théologique (mais oui!) sur le périzonium (1) de Jacqueline Salmon au Musée Réattu. C’était à part ça une bonne idée que de reprendre au Palais de l’Archevêché «Un monde à guérir», présenté ce printemps à Genève par le Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Deux ans de recherches dans les archives de l’institution prouvent que l’humanitaire permet lui aussi de nombreuses manipulations. Mais elles apparaissent ici positives… Si l’on veut que les gens donnent, il faut d’abord les émouvoir. Pour l’avouer aussi clairement, il fallait du courage.

L’affiche des «Rencontres». Modèle vertical.

Voilà qui console après tout d’une confusion intellectuelle comme le Babette Mangolte de l’église Sainte-Anne. Ce n’est pas parce que cette dernière a photographié dans les années 1970 les spectacles puissamment novateurs d’Yvonne Rainer, de Bob Wilson, de Lucinda Childs ou de Merce Cunningham qu’elle est elle-même devenue une grande artiste. Contrairement à ce que croient certains, le talent n’a rien d’une maladie contagieuse. Babette n’a jamais (et mal) que do-cu-men-té… J’ai vu mieux sur le plan de l’image dans des galeries «off», comme chez Léa Lund rue du Docteur-Fanton ou le nouvel espace d’Ira Leonis à l’étage sur la place de la République (2). Arles «in» satisfait hélas moins les yeux que le cerveau.

De l’importance du collage pour parler des femmes en 1977.

Cela dit, la rumeur défavorable doit déjà courir la France, et même l’étranger. Il n’y a pas foule. Comme au festival voisin d’Avignon du reste, où les rues restent bien plus vides que naguère. Il me semble ainsi avoir rencontré moins de monde aux «Rencontres» qu’en 2021, où il y avait comme attraction la rétrospective Sabine Weiss dans la chapelle baroque d’un Musée Arlaten enfin rouvert. Après la semaine d’ouverture, plus ou moins destinée aux professionnels, la direction a certes publié vers le 10 juillet des chiffres mirobolants (3). De véritables records. Mais je finis par penser que c’est un peu comme pour les protestations politiques, où le nombre de participants proclamé par les manifestants s’oppose à celui indiqué par la police. Qui croire? Et que croire encore, quand on a vu Arles 2022? Cela dit, ce n’est guère mieux à la Fondation Luma, près de la tour de Gehry. Qui n’a pas parcouru les deux espaces photographiques géants confiés à l’Américain Arthur Jafa sur le thème du racisme ignore encore ce que signifie le mot «mégalomanie»!

(1) Le périzonium est le cache-sexe du Christ sur la Croix.
(2)
Léa Lund montre ses propres images, très composées. Erik K. en est toujours la vedette. Ira Leonis propose le photographe humaniste Marc Paygnard.
(3)
Dix-neuf mille personnes à la semaine d’ouverture du 4 au 10 juillet, si j’en crois «Le Monde».

Pratique

«Rencontres de la photographie», divers lieux dans la ville et aux alentours, Arles, jusqu’au 25 septembre. Certains lieux fermeront dès la fin août. Tél. 00336 90 96 76 06, site www.rencontres-arles.com Ouvert tous les jours de 10h à 19h30. Plusieurs espaces ont adopté d’autres horaires. On peut réserver, à prix réduit, sur le site. Il existe des billetteries sur place.