Gérard Rancinan, l'un des photographes les plus cotés au monde a trouvé à Chartres un écrin pour ses oeuvres monumentales

Que de chemin parcouru pour le jeune apprenti de la Presse quotidienne régionale devenu l'un des photographes les plus cotés du monde, Gérard Rancinan ouvre son atelier de Chartres

Gérard Rancinan a trouvé à Chartres il y a une dizaine d'années un show-room parfait pour ses oeuvres monumentales, une ancienne base militaire. Il compte l'ouvrir dans quelques semaines.
Gérard Rancinan a trouvé à Chartres il y a huit ans un show-room parfait pour ses oeuvres monumentales, une ancienne base militaire. Il compte l’ouvrir dans quelques semaines pour y présenter sa dernière exposition, une série de natures mortes. (©Laurent Rebours)
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L’ancienne base militaire du CM101 au Coudray près de Chartres (Eure-et-Loir) aurait pu être rasée. Il en a été autrement, fort heureusement. Ses longs bâtiments voûtés abritent aujourd’hui des entreprises mais également l’atelier d’un photographe unique au parcours hors du commun, l’un des Français les plus cotés dans le monde de l’art contemporain, Gérard Rancinan.

L’artiste photographe a trouvé en ces lieux, il y a huit ans, tout simplement un show-room à la dimension de ses principales oeuvres qui ont fait son renom, monumentales ! Et il compte bien l’ouvrir prochainement. Rencontre.

Cinquante ans de carrière, cinquante ans d’un regard aiguisé

Gérard Rancinan a fêté l’année dernière cinquante années de carrière. Il est né en 1953 à Talence (Gironde).

Un nom connu dans l'univers du photojournalisme et de l'art contemporain
Un nom connu tant dans l’univers du photojournalisme que de l’art contemporain (©Laurent Rebours)

Il pousse les portes du quotidien régional Sud-Ouest à Bordeaux (Gironde) à 15 ans, bien aidé par son père qui y travaillait « et qui avait vu en moi une forte capacité à résister à l’école ! »

Son passage chez les Jésuites de Sarlat (Dordogne) à 13 ans n’avait fait qu’amplifier cette résistance :

Malgré les raclées, j'étais davantage doué pour dessiner des petites motos que suivre les enseignements. Mon père, voyant ça s'est dit qu'il me fallait une vraie bouffée d'air.

Gérard RancinanPhotojournaliste, artiste contemporain

Alors, au quotidien, se rapprochant du chef du service photo, son père lance « tu ne cherches pas un apprenti ? »

L'impressionnant Radeau des illusions, référence à Géricault
L’impressionnant Radeau des illusions, référence à Géricault. L’oeuvre de Gérard Rancinan est notamment inspirée par les grands maîtres de la peinture comme Velasquez ou Le Caravage. (©Laurent Rebours)

Le voilà dans le grand bain de la presse et dans les bains des tirages photo des journalistes. « J’étais sous le régime des ouvriers du Livre, autant dire que je gagnais très bien ma vie ».

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Le « petit », affectueusement baptisé ainsi au sein du journal, est pris en charge par de vrais mentors, des vieux de la vieille qui vont l’initier, lui donner une culture de la photographie et surtout un goût pour l’excellence qui ne le quitteront jamais.

Il a notamment en tête les enseignements de Georges Berniard par exemple, fondateur du service photo qui avait notamment fait la Guerre d’Espagne avec Ernest Hemingway.

Le plus jeune photojournaliste à 18 ans

A 18 ans, il décroche sa carte de presse – la 34106 – et devient le plus jeune photojournaliste. La rédaction l’envoie sur un fait divers, ses images impressionneront le directeur de la rédaction, Henri Amouroux qui en fera « cinq colonnes à la Une ».

Ils m'avaient formé à me dépasser ! Cette Une, c'était fou, j'ai suivi les rotatives jusqu'à 3 heures du matin et le lendemain j'étais dehors à regarder tous ces gens qui achetaient le journal, j'étais le meilleur photographe du monde !

Gérard Rancinan

L’adrénaline retombe comme un soufflé lorsqu’il prend conscience que tous ces journaux, une fois lu, sont jetés. Une grosse dose d’humilité.

Se faire les dents à Pau

Les responsables du journal voient bien cette nécessité de lui faire faire ses armes. Alors ils le mutent à Pau, en agence délocalisée.

Derrière le voile, un insecte géant, derrière l'insecte, un retable étonnant, une métamorphose
Derrière le voile, un insecte géant, derrière l’insecte, un retable étonnant, une métamorphose (©Laurent Rebours)

Le « petit Bordelais » comme ils le surnomment, débarque avec ses trois Nikon motorisés en bandoulière. Il se voit « en enfer » mais y reste cinq ans. Tout est bon pour qu’il se perfectionne, il n’y a pas de mauvais sujet.

Un jour on l’envoie couvrir une chorale dans une église, il grimpe sur l’autel pour s’offrir un angle idéal et il mitraille ! Un confrère de la République des Pyrénées s’approche de lui et lui lâche « il faut qu’on sorte de là ! »

Pendant ses congés, Gérard avait déjà pris l’habitude d’aller à l’étranger, en Afrique tout particulièrement, alors il a pu couvrir des événements internationaux comme le sacre de Bokassa. « On se voyait travailler pour les magazines les plus prestigieux comme Life… »

L’aventure Sygma

En ce début des années 70, l’agence de presse Sygma venait d’être lancée par Hubert Henrotte. Gérard se fait convoquer dans le bureau de son patron à Sud-Ouest comme il le raconte :

Vous, vous avez trop d'ambition pour rester chez nous, vous devez aller plus loin ! J'ai des amis chez Magnum, si ça ne marche pas vous reviendrez chez nous...

Gérard Rancinan

L’agence Magnum, un prestige mondial. Pourtant c’est chez Sygma que Gérard pousse la porte, il s’y sent plus en phase, « par leur esthétisme, la couleur aussi, c’était parfait pour moi ! »

Le bagage de la presse locale

Dans la jeune agence qui deviendra internationale au même titre que Gamma ou Sipa Press, Gérard débarque avec « un bagage énorme ».

L'artiste est connu notamment par ses oeuvres de très grande dimension qu'il fait réaliser en Allemagne.
L’artiste est connu notamment par ses oeuvres de très grande dimension qu’il fait réaliser en Allemagne. (©Laurent Rebours)

En l’occurrence celui amassé au sein de la presse locale, l’école de l’humilité, de la débrouillardise. 

Lorsque j'ai couvert les Jeux Olympiques, j'ai explosé les collègues avec un rythme de travail que les autres n'avaient pas. Quand on doit couvrir cinq matches de rugby dans un week-end, on sait ce que c'est que de travailler vite et efficace !

Gérard Rancinan

Durant des années dans cette agence, il sillonne le monde et immortalise les plus grands instants sportifs, les grands de ce monde, les événements qui font l’histoire. Sous son objectif, le Pape Jean-Paul II, Fidel Castro, les présidents, les people… deviennent icônes. Il sera lauréat six fois du prestigieux World Press photo, un record.

Armé d’une indéfectible bonne humeur et d’une soif de découverte permanente, il monte des projets ambitieux comme lorsqu’il embarque toute une équipe un mois et demi pour découvrir l’Espagne post-Franco, dix ans après sa disparition.

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De retour dans l’agence, il se paie même le culot de ne présenter qu’une seule image par sujet à Hubert Henrotte qui lui lance « elles sont où les autres photos ? » s’attendant à avoir le « final cut ». « Mais pour qui vous vous prenez ? »

Le photographe embarque son projet et le propose à Paris Match, ce sera la plus grande vente pour un sujet magazine.

Les rois sans royaume

Un autre de ses projets, « Les rois sans royaume », continue de l’asseoir dans le sérail des plus grands photojournalistes. On le lui refuse chez Sygma « on ne fait pas les perdants ici ».

« Être photographe, c’est une responsabilité. Il y a deux choses terribles, dire que c’est joli et que c’est une bonne idée ! »

Alors il quitte Sygma pour Gamma. Mais l’aventure est de courte durée, ils ne sont pas sur la même longueur d’onde. Il rembourse les frais engagés, termine son projet et le vend. « Ce sera comme si on vendait aujourd’hui pour 600 000 € de photos, un succès mondial ! »

Il décide de monter sa propre agence en 1986. Hubert Henrotte lui en veut, d’autant qu’un certain Robert Maxwell, magnat de la presse, entre dans la danse.

Mais l’aventure ne durera pas longtemps, « on a mal géré, on s’est retrouvé à la rue à quarante journalistes et un gros labo… un seul pouvait nous sauver ».

C’est Hubert Henrotte, pas rancunier, qui non seulement le reprend mais lui offre un studio entier.

Vers l’art mais toujours témoin de son temps

Durant plusieurs années il poursuit son travail de photo-reporter, côtoyant des mythes de l’image comme Donald Mac Cullin au Liban. 

Je lui aurais baisé les pieds à ce gars. Un jour il disparaît et ne revient que quatre jours plus tard, tout le monde s'inquiétait. Il quitte le pays, sans rien dire et deux semaines plus tard son reportage sort... il était allé en immersion dans un hôpital psychiatrique sous les bombes, un chef d'oeuvre !

Gérard Rancinan

Biberonné avec ces témoins du siècle, le photojournaliste devient indépendant, il quitte Sygma en 1990. Seul mais avec tout de même des équipes.

L'ancien casernement offre un espace idéal pour accueillir ces oeuvres monumentales, il devrait s'ouvrir pour des groupes à partir du mois de mai
L’ancien casernement offre un espace idéal pour accueillir ces oeuvres monumentales, il devrait s’ouvrir pour des groupes à partir du mois de mai

Il se tourne progressivement vers l’art mais avec un regard qui ne le quittera jamais, critique sur les travers de notre société. Ses compositions photographiques sont accompagnées pendant dix-sept ans des écrits de Virginie Luc puis, depuis vingt-trois ans de ceux de sa complice Caroline Gaudriault.

De directrice de projets en accompagnement de ses reportages, notamment dans le sport au début, la journaliste et écrivaine, auteure d’une douzaine d’ouvrages, a su trouver une alchimie avec le photographe, accompagnant sa création de ses écrits et lui offrant une puissance exceptionnelle.

Et la photo a basculé dans l’art contemporain

En 1995, le commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr le remarque, « tes photos sont des oeuvres d’art, on va essayer… ça flattait mon ego mais j’étais dubitatif, mais ça a marché ».

Une vraie complicité s'est tissée depuis vingt-trois ans avec Caroline Gaudriault, journaliste et écrivaine qui associe ses textes aux photographies de Gérard.
Une vraie complicité s’est tissée depuis vingt-trois ans avec Caroline Gaudriault, journaliste et écrivaine qui associe ses textes aux photographies de Gérard. (©Laurent Rebours)

Et comment ! Certains de ses grands formats dépassent les 100 000 €, un record même en 2014 avec Le festin des Barbares de La trilogie des modernes qui atteint 260 000 € ! Tout s’enflamme à partir de son exposition chez Pierre Cardin.

Ces années 2000 le voient se lancer dans d’ambitieux projets, tous échos à une actualité brûlante comme Urban Jungle. Il expose partout dans le monde avec, à chaque fois, une scénographie qui propose aux spectateurs une immersion totale. On n’y passe pas en coup de vent, on y reste trois heures !

La trilogie des modernes est d’un retentissement mondial. Il y évoque les métamorphoses de notre époque, l’enfermement dans la commercialisation, les bouleversements… la société post-chute du Mur de Berlin l’amène dans des réflexions qu’il avait déjà comme reporter.

En immersion

Lettre d'Espagne, l'une des natures mortes, nouvelle série de l'artiste
Lettre d’Espagne, l’une des natures mortes, nouvelle série de l’artiste (©Gérard Rancinan)

Son travail, avec Caroline, est méticuleusement préparé durant des semaines, des mois. Une réflexion de fond pour happer le spectateur avec une mise en scène ciselée, des vidéos, des making-of, une bande sonore étudiée, la calligraphie, des textes…

Au-delà des photos, il faut plonger dans les deuxièmes, troisièmes couches, voir les migrants, les gros, les maigres, les nantis, les laissés pour compte… les textes ne sont pas des légendes ils agissent en romans, créent une atmosphère, ne laissent pas indifférent. 

Avec toujours, tant chez Gérard que Caroline, cette volonté de témoigner dans leur ADN, comme lorsqu’ils sont partis trois jours à Sangatte. On ne veut pas de leur reportage sur les migrants ? Deux ans plus tard ils sortent Le radeau des illusions, référence au chef d’oeuvre de Géricault

Ce sera alors dix pages magazine, « l’art est plus puissant que la presse pour parler des vrais maux ».

On ne s'interdit rien, nous collons à notre époque, comme nos natures mortes qui dépassent l'exercice de style. Nous sommes des éponges de ce qui se passe dans la société. Tout est symbolique, tout est symboles.

Caroline GaudriaultJournaliste, écrivaine, scénographe

Des natures mortes si vivantes

Le dernier projet des deux comparses, Le voyage immobile, et tout recommencera… compte trente-cinq natures mortes. Une première, après une longue pause dans les galeries pour l’artiste. Caroline l’accompagne évidemment avec un ouvrage, Voyage immobile, nouvelle qui se passe aujourd’hui mais qui, par ses souvenirs, nous emmène sous l’ère Brejnev à Moscou, en pleine censure.

Cette nouvelle expérience à travers les natures mortes évoque cette période de contraintes, l’ordonnancement méticuleux de la pensée, ces objets qui apportent autant de flashback que de regrets d’un temps révolu. Un voyage dans l’humanité et dans le monde où l’Humanité et Le Monde brûlent.

Poésie et politique s’entremêlent, s’entrechoquent mais sans idéologie, juste avec le regard de l’observateur de son époque. Une époque qui, admet-il, va à une vitesse hallucinante, débordante.

L’art uniforme

Ces calligraphies accompagnent les expositions
Ces calligraphies accompagnent les expositions

Le photographe a la dent dure contre un art contemporain aujourd’hui universalisé.

Tout doit être gai, divertissant, surtout pas dérangeant ! L'art est devenu unique et donc dangereux. Chaque région du monde avait avant son art, ses arts, on piochait dedans, on s'inspirait les uns et les autres...

Gérard Rancinan

Alors, comme tout bon journaliste qu’il est, en vieux briscard, quand on lui ferme la porte, il passe par la fenêtre. Il déboule où on ne l’attend pas ou bien pas avec les oeuvres que l’on attend de lui. Un énorme coléoptère peut cacher un retable détonnant !

Il se souvient de la présentation de ses premiers tirages format XXL, « certains se retenaient pour ne pas vomir ! On a eu la chance de pouvoir résister et narguer ! »

Where is god que l'on peut voir actuellement à la galerie Tony Rocfort de La Baule
Where is god que l’on peut voir actuellement à la galerie Tony Rocfort de La Baule (©Gérard Rancinan)

Le coup de coeur pour Chartres

Voilà une bonne quinzaine d'années que Gérard Rancinan se rend régulièrement sur Chartres, depuis qu'il y a trouvé un ami motard qui bichonne sa moto de compétition et avec lequel il aime les balades entre potes.
Dans les premiers temps, il lui a prêté un peu de son atelier mais au fil des années il lui fallait trouver un écrin autrement plus dimensionné ! En cherchant des locaux il est tombé sur cette ancienne base militaire et a acheté un entrepôt il y a huit ans.
Un véritable show-room idéal dans lequel, régulièrement, il organise des barbecues au printemps et à l'automne avec des invités du monde entier.
Evidemment, depuis un an tout s'est compliqué alors l'idée est de renouer avec ces moments de convivialité et de présentation de ses oeuvres mais en petits comités à partir de mai 2021. Occasion de découvrir les natures mortes du Voyage immobile notamment.

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