Françoise Nuñez, photographe du voyage et de l’instant

Sans aucun exotisme, les clichés de l’artiste se fondaient dans les espaces qu’elle a parcourus depuis le milieu des années 1970, à travers le monde. Elle est décédée à La Ciotat, le 23 décembre 2021.

Françoise Nuñez en 1988. « Il n’y a rien de nonchalant dans mes déambulations. Je me mets à chaque fois dans une volonté de concentration extrême, d’ultrasensibilité », expliquait la photographe.

Françoise Nuñez en 1988. « Il n’y a rien de nonchalant dans mes déambulations. Je me mets à chaque fois dans une volonté de concentration extrême, d’ultrasensibilité », expliquait la photographe. Photo Bernard Plossu/SIGNATURES

Par Fanny Arlandis

Publié le 27 décembre 2021 à 18h50

Deux hommes, debout dans une barque, au milieu d’un fleuve. À droite, au premier plan, un personnage coupé et flou semble assis sur la berge. Comme prise du coin de l’œil, cette image réalisée à Cochin, en Inde, en 1997, saisit un instant, un petit rien que la mémoire aurait envie de retenir, et illustre à merveille le travail singulier de la photographe Françoise Nuñez, emportée par une maladie le 23 décembre.

Cochin (Inde), en 1997.

Cochin (Inde), en 1997. Photo Françoise nuñez

Née en 1957 à Toulouse, Françoise Nuñez réalise ses premières images en 1975, lors d’un voyage en Espagne, pays de ses ancêtres. Quelques années plus tard, son passage dans l’atelier du photographe Jean Dieuzaide lui permet de perfectionner sa technique photographique. Elle y apprend, aux côtés de Théo Caddau, le travail délicat du tirage. C’est aussi là qu’elle rencontre le photographe Bernard Plossu (né en 1945), son époux et le père de ses deux enfants, Joaquim et Manuela. Avec lui, elle découvre l’Éthiopie au début des années 1980. « J’étais dans un état de réceptivité absolu : tout était nouveau, j’avais tout à apprendre, racontait-elle. J’ai vite aimé cette sensation où l’on n’est rien, où l’on remet en question tous nos repères. » Aux odeurs, aux sons, aux émotions encore inconnues, l’image prend le relais des sens.

Gorgora (Éthiopie), en 1998.

Gorgora (Éthiopie), en 1998. Photo Françoise nuñez

Portugal, Grèce, Turquie, Pologne, Sénégal… Le voyage devient son obsession. C’est le seul moment où elle photographie. « Quand je pars, je ne pense qu’à ça, confiait-elle en 2012 au journal La Dépêche. Je veux être réceptive à tout, loin d’un quotidien et d’endroits que je connais trop bien. J’aime l’inattendu, la surprise, l’émotion de la découverte. Et j’essaye de faire ressentir toutes ces émotions. » Sans aucun « exotisme », les clichés de Françoise Nuñez se fondent dans les espaces qu’elle parcourt. Pour chaque image, la photographe semble s’effacer du monde qui l’entoure pour mieux l’habiter. « Il n’y a rien de nonchalant dans mes déambulations. Je me mets à chaque fois dans une volonté de concentration extrême, d’ultrasensibilité. Je ne suis pas tranquille, je suis nerveuse. Le soir, je rentre épuisée. »

Thangavur (Inde), en 1994.

Thangavur (Inde), en 1994. Photo Françoise nuñez

Françoise Nuñez a parcouru le monde, mais c’est l’Inde qui la touche particulièrement. Elle découvre ce pays en 1989 et ne cesse ensuite d’y revenir. « L’Inde est le voyage des voyages, un endroit où chaque nouvelle découverte vous nourrit, vous interroge », expliquait-elle. Passionnée par le travail spirituel sur le corps, elle a produit une superbe série portant sur des pratiquants de Kalarippayatt, un art martial ancestral précédant l’invention du kung-fu en Chine. Sur ses images, prises à la verticale, les corps luisants roulent dans la terre battue, les muscles se contractent au rythme des prières. « Ce format lui permettait d’omettre des choses qui se passent à gauche ou à droite du cadre, note Didier Brousse, directeur de la galerie Camera Obscura, qui la représentait. Si l’horizontalité permet de décrire un lieu, la verticalité s’inscrit davantage dans une tranche de temps, un instant suspendu. C’est ce qui intéressait Françoise Nuñez. Comme elle possédait une forte rigueur, ses choix étaient assez tranchés et elle n’en bougeait pas. » De fait, l’intégralité de son travail, réalisé en noir et blanc et au 50 mm — la focale la plus proche de l’œil humain —, est marquée par une forme de constance. « Montrer n’est pas mon but, expliquait-elle. Ce que je photographie, c’est mon parcours intime, ma façon d’appréhender le monde. »

Trivandrum (Inde), en 2014.

Trivandrum (Inde), en 2014. Photo Françoise nuñez

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