Interview : 5 questions à la photographe Delphine Diallo

Rencontre avec la photographe Delphine Diallo, qui expose actuellement son travail à Arles.

A l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles 2022, Fisheye Gallery expose les œuvres féministes de la photographe Delphine Diallo. Son exposition personnelle intitulée Golden Age est à découvrir jusqu’au 30 septembre 2022, au 19 rue Jouvène, à Arles.


IDEAT : Comment est née l’exposition Golden Age ?

Delphine Diallo : En 2019, le New York Times m’a demandé de sélectionner la photographie me représentant le mieux en matière d’autoportrait. Or, lors d’un voyage au Sénégal, j’avais produit un objet spirituel : une armure de femme en métal. J’ai décidé d’envoyer une photo de l’armure qui brûle dans les cendres et le bois. Le journal l’a publiée en juin 2020. Suite à cette publication, le collectionneur américain Amya m’a contactée pour me donner accès sa collection privée : une caverne d’Ali Baba ! Lorsque la Fisheye Gallery m’a proposé un solo-show à Arles, je leur ai parlé de ce travail inédit que je faisais depuis un an et demi.

À gauche, photographe «Divine», 2020. À droite, collage «Minotaure Head», 2019.
À gauche, photographe «Divine», 2020. À droite, collage «Minotaure Head», 2019. Delphine Diallo

IDEAT : Comment avez-vous sélectionné les objets présentés dans Golden Age, sur les trois mille que comptait la collection ?

Delphine Diallo : J’ai facilement utilisé trente à quarante objets. J’ai d’abord demandé aux protagonistes femmes — Soleïta la Congolaise, Johanna la Nigériane et Oyte l’Érythréenne — d’en choisir plusieurs : cela permettait de donner vie à l’objet tout en essayant de connaître son histoire. Amya, le collectionneur, m’a énormément aidé, je n’aurais pas pu les utiliser sans connaitre la signification profonde de chacun d’eux.

La couronne de roi yoruba (photo ci-dessus) composée de perles dorées m’a tout de suite parlé, je me la suis appropriée comme beaucoup d’objets qui étaient portés par des hommes. Ça doit être la première pièce à laquelle je me suis connectée : c’était pour moi une évidence. Elle dégageait une essence profonde et spirituelle et (donnait une image) de femme puissante. Je n’arrive pas à croire que ces couronnes étaient uniquement portées par des femmes à l’époque. C’était exceptionnel de découvrir tout cela.

À gauche, The Exotic Myth, 2018. À droite, String attached, 2017. Collage sur papier d’archives, boîte en bois blanche.
À gauche, The Exotic Myth, 2018. À droite, String attached, 2017. Collage sur papier d’archives, boîte en bois blanche. Delphine Diallo

IDEAT : Qu’est-ce que la transmutation du divin dont vous parlez pour qualifier la rencontre entre vos 3 modèles et ces objets venus du continent africain ?

Delphine Diallo : Ce ne sont pas des modèles, pour moi ce sont des protagonistes, ce sont des femmes. Dans l’histoire de la photographie, les femmes ont tendance à être considérées comme des objets. D’où le nom de modèle et le nom de muse créés par les hommes. À travers la transmutation, il y a cette idée de redonner une valeur à un corps qui a été perdu dans l’objectification ; comme peuvent l’être, d’ailleurs, les objets africains qui ont perdu leur signification à force de déplacements de pays en pays, et d’exposition en exposition. L’explication spirituelle est très rarement mise en lumière, nous ne disposons d’aucune information sur son sens profond. Selon moi, amener les femmes à discuter avec ses objets, à les choisir, à les sentir, permet de redonner cette énergie perdue dans le monde occidental et valider le corps de la femme. Bien évidemment, je parle du corps des femmes noirs mais aussi du corps de toutes les femmes.

Delphine Diallo, The spiritual warrior, 2022. Collage sur papier d’archives, boîte en bois blanche.
Delphine Diallo, The spiritual warrior, 2022. Collage sur papier d’archives, boîte en bois blanche. Delphine Diallo

IDEAT : Pourquoi avoir eu recours à la technique du collage pour ce travail ?

Delphine Diallo : Au sein de l’exposition, j’ai utilisé la photographie en couleur, en noir et blanc, en sépia et le collage : je suis donc passée par toutes les étapes de transformation. Les collages correspondent à une découverte du monde car les images font parties d’un univers ayant déjà existé. Le collage «The spiritual warrior», par exemple, regroupe mes photographies de paysages et de portraits prises pendant douze ans. Dans un autre de mes autoportraits, «The creation of Life», j’avais ajouté des images de magazines des années 1960 et 1970. Avec Golden Age, ma réflexion est sur le passé et j’y ajoute ma propre histoire. J’utilise souvent des magazines de biologie, d’histoire ou des livres de rituels africains. Mon travail est anthropologique.

Le collage «The creation of life» de Delphine Diallo, 2022.
Le collage «The creation of life» de Delphine Diallo, 2022. Delphine Diallo

IDEAT : Cette première exploration autour de vos trois protagonistes et de ces artefacts spirituels pourrait-elle donner lieu à une nouvelle exposition ?

Delphine Diallo : Beaucoup plus grande, bien sûr. En ce moment, je travaille sur un collage pour une exposition que je ne peux pas encore révéler. L’idée est d’avoir l’opportunité d’agrandir ce thème grâce à des espaces beaucoup plus grands.

> L’exposition «Golden Age» de Delphine Diallo est à découvrir jusqu’au 30 septembre 2022. Fisheye Gallery, 19, rue Jouvène. 13200 Arles. Fisheyegallery.fr