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Récompense photographiqueSally Mann reçoit le Prix Pictet pour son «Blackwater»

L’une des images presque abstraites de la série «Blackwater».

J’ai un peu tardé à vous l’annoncer, d’autant plus que la nouvelle possède de vagues connexions genevoises. Sally Mann a reçu le 15 décembre à Londres le neuvième Prix Pictet. La chose s’est passée au Victoria & Albert Museum, où les onze «nominés», plus la gagnante, restent exposés jusqu’au 9 janvier prochain. L’Américaine se voit distinguée pour sa série «Blackwater».

Curieuse trajectoire que celle de cette native de Lexington en Virginie! Aujourd’hui âgée de 70 ans, Sally Mann s’est fait connaître à la fin des années 1980 par «At Twelfe», où elle regardait des filles de douze ans prises entre l’enfance et l’adolescence. Sa réelle notoriété remonte à 1992, quand l’artiste a diffusé les images d’«Immediate Family», où elle montrait dans la nature son mari avocat et ses enfants. C’était aussi le début d’une de ces polémiques monstrueuses qui vont se multipliant. Au contact de l’eau, ses deux filles et son fils se dénudaient. Shocking! Sally ne prostituait-elle pas ainsi les siens, soumettant sa progéniture au regard de mille odieux prédateurs? La Suisse n’a pas été épargnée par cette folie, tenant de l’obsession sexuelle. Lorsqu’il a voulu présenter en 2010 la série pour sa dernière exposition en tant que directeur à l’Elysée de Lausanne, William A Ewing n’a trouvé aucun sponsor et certaines photos ont été vandalisées.

Sally Mann, il y a quelques années.

Sally Mann a retenu la leçon. Pour la suite de son œuvre, qui utilise non plus un vieil appareil à soufflet des débuts du XXe siècle mais le négatif au collodion si apprécié vers 1850, elle en remis trois couches sur le politiquement correct ambiant. Ses paysages de Virginie se sont centrés autour d’un étang tragique, lié à l’esclavage. C’est par là que les captifs tentaient de s’enfuir au péril de leur vie en slalomant entre les alligators. On ne voyait en fait rien, mais tout un discours victimaire venait se superposer aux clichés rejoignant par leur technique ancienne la tragique époque évoquée. Sally devenait du coup inattaquable. On l’a senti, non sans malaise, au Jeu de Paume parisien qui a dédié en 2019 une rétrospective à l’Américaine, devenue militante anti-raciste. Sally y disait sa bonne conscience d’avoir mauvaise conscience. Elle pouvait se regarder dans la glace.

L’incendie comme métaphore du racisme

Les photos en elles-mêmes sont magnifiques. Sally a depuis cette série de 2008-2012 documenté à nouveau la région, dévastée par un de ces grands incendies frappant toujours plus souvent les Etats-Unis. Elle voit un parallèle entre le feu et la violence de l’Histoire coloniale de la région. Une métaphore. La femme utilise pour ce faire le pictorialisme, le style passant normalement pour le plus esthétisant (et donc le plus apolitique). Ce genre visuel se voit ainsi traité contre nature afin de donner des compositions presque abstraites, où le propos anti-esclavagiste se perd à vrai dire assez vite de vue. Il ne faut pas oublier que Sally Mann est aujourd’hui vendue par Gagosian. Un choix qui la classe parmi les photographes plasticiens. Ceux qui se vendent bien plus cher que les autres.

Une autre image de «Blackwater»

Il apparaît néanmoins heureux que le Prix Pictet, par définition un peu frileux et conformiste (comme le sont les banques), aille à une artiste n’ayant pas toujours fait l’unanimité. Cela dit, j’avoue préférer les images d’«Immediate Family» à ces paysages lourdement conscientisés. Elles ont tout de même quelque chose de moins voulu, et par conséquent de moins fabriqué. «Blackwater», c’est quand même un peu «too much».