Votre navigateur est obsolète. Veuillez le mettre à jour avec la dernière version ou passer à un autre navigateur comme ChromeSafariFirefox ou Edge pour éviter les failles de sécurité et garantir les meilleures performances possibles.

Passer au contenu principal

Exposition à LausannePhoto Elysée invite le grand Josef Koudelka

L’affiche. Un choix original pour Koudelka.

C’était le 3 novembre. Il y a déjà dix jours. Le temps file autant qu’il défile. Photo Elysée proposait à Lausanne la troisième des soirées inaugurales de Plateforme10. Il s’agissait, après la catastrophe de l’exposition organisée ici sur les trains, de voir comment s’en tirerait la nouvelle directrice Nathalie Herschdorfer. Oh, elle ne serait pas ici responsable de tout! Au pire ni coupable, ni fautive. Les deux projets arrivés à bout touchant avaient démarré bien avant son arrivée. Mais si la rétrospective Josef Koudelka ne donnait aucune crainte, en tout cas pour ce qui tient du fond, il n’en allait pas de même pour «D’après nature», dont je vous avais parlé au moment de sa présentation fin 2021 au Fotomuseum de Winterthour. La chose tenait de la patate chaude, voire brûlante. Cette présentation boulimique autour de la photographie helvétique au XIXe siècle frôlait en Suisse alémanique le désastre.

Les tziganes tchèques vus au quotidien en 1967.

Il y avait moins de monde, ce jeudi 3 novembre, pour assister à la prestation de Nathalie. Un départ, celui en l’occurrence de Chantal Prod’Hom, suscite toujours davantage d’attention, ne serait-ce que par son caractère irréparable. Mais il fallait tout de même écouter la manière dont la nouvelle Madame Photo Elysée se tirerait de l’exercice de présentation, d’explication et de remerciements. Interminables que ces derniers, comme d’habitude. C’est fou ce que les officiels, les sponsors et les équipes peuvent être des gens compétents et sympathiques! Il faut dire que Koudelka, 84 printemps dont celui de Prague en 1968, ne lui a pas facilité la tâche. Ce monsieur jouant les effacés est un taiseux. Trois phrases prononcées avec un fort accent, il a quitté le micro. Il y a pourtant maintenant un demi-siècle que l’homme est à l’Ouest, si j’ose dire. Il a profité en 1970 d’un voyage dans ce qui constituait alors l’Occident pour ne plus revenir dans ce qui constituait encore la Tchécoslovaquie. Le monde a décidément bien changé…

Une moitié d’espace

La rétrospective, comme l’a expliqué Nathalie, ne se révèle pas complète. Des choix sont intervenus. C’est à mon avis raisonnable. L’œuvre se révèle énorme. Il eut semblé dommage de simplement picorer dans celui-ci. L’exposition devait en plus se contenter d’une partie du plateau de mille mètres carrés formant le terrain de jeu destiné à Photo Elysée. Il fallait garder de la place pour «D’après nature». Je vous rappelle ensuite que le musée, propriétaire tout de même de grosses collections, a par ailleurs besoin de cimaises pour les montrer. Un roulement a été imaginé sous l’ancienne direction en soixante mini-épisodes. La présentation inaugurale avait proposé les épisodes 1 à 5. Il y a maintenant ceux allant de 6 à 10. Il devrait en avoir en tout soixante. Si vous voulez mon avis, je dirais que cela me semble beaucoup, l’entreprise n’ayant rien de bien génial.

Josef Koudelka à Photo Elysée.

Pour Koudelka, quatre angles se sont vus pris en considération. Le premier est celui des archives de l’artiste. Elles regroupent non pas trente mille images, comme je l’avais cru au départ, mais trente mille planches contact conservées dans sa fondation à Prague. Il s’agit d’en illustrer le fonctionnement. Le Tchèque a toujours été conscient de leur importance. Dans cette masse de clichés, il existe ainsi cinq catégories, un peu comme pour les hôtels. A mi-chemin se trouvent les belles images destinées à la diffusion par l’agence Magnum, où il est assez rapidement rentré après son départ pour Londres, puis pour Paris. Tout en haut se situent les meilleures, réservées aux expositions et aux livres. On sait que Koudelka a beaucoup publié. Je vous rappelle juste le magnifique album «Ruines», dont je vous ai parlé l’année dernière. Une somme sur plus de vingt ans de pérégrinations méditerranéennes autour du thème de l’archéologie. L’homme aime de plus revenir sur ses publications, qu’il modifie au moment des rééditions.

Un chien devenu célèbre.

Le deuxième volet est formé par son travail le plus célèbre, mené dans les années 1960. Il s’agit de son exploration du monde gitan, avant tout à l’Est. Grâce à lui, l’homme est devenu connu, puis célèbre. Il parvenait à concilier un regard empathique et naturel avec un certain esthétisme, sans pour autant tomber vers une photo trop artiste à la Salgado. Photo Elysée peut ainsi montrer les fêtes comme les rites funéraires. L’exceptionnel aussi bien que le quotidien. Le tout dans un noir et blanc plus noir que blanc. Une marque de fabrique, conservée par la suite. Koudelka n’a jamais opéré sa conversion à la couleur, à l’instar de nombre de ses confrères. Je ne pense pas qu’il ait par ailleurs passé au numérique. Il faut dire que si l’homme produit parfois une photo d’actualité, cette dernière prime rarement. Nous sommes plutôt avec lui dans l’intemporel.

La célèbre photo de 1968, au moment de l’invasion russe à Prague.

La troisième section vient pourtant infirmer ce que je viens de dire. En août 1968 les Russes, dont la spécialité est d’envahir, arrivent avec leurs chars à Prague. Koudelka photographie anonymement tout. Il veut documenter ce coup de force rappelant ceux de Berlin et de Budapest dans les années 1950. Les films arriveront discrètement à l’Ouest. Ils se verront diffusés sans nom d’auteur afin de le protéger, lui et sa famille. Photo Elysée a choisi non pas d’aligner sur ses murs les tirages originaux, mais de faire défiler ce reportage sur deux écrans. Il faut ici restituer l’instant. Un instant précédant les années d’exil, où Koudelka choisit de se fixer nulle part. Un calcul financier lui a permis de constater qu’avec le budget d’un logement, il pouvait aller à la place partout. La dernière salle, qui contient par ailleurs une immense vitrine diagonale abritant certains de ses livres, peut ainsi proposer des clichés allant d’une l’Espagne encore franquiste à la France ou l’Italie. Certains sont bien connus. D’autres pas. Le travail mené par le commissaire Lars Willumeit assisté d’Eleonora Del Duca tient aussi de la prospection. Un œil neuf voit toujours différemment.

Tirages venus de Prague

Voilà. Il y a au sous-sol de Plateforme10 beaucoup de tirages originaux. Une partie provient de Koudelka lui-même. Elle se compose de petits formats. Les grands ont été fournis par le Musée des arts décoratifs de Prague. Destinés à une institution, ils ont bénéficié de soins particuliers. Anna Fárová, l’une des premières ferventes de Koudelka, a dirigé non sans mal le musée à partir de 1970. L’Elysée lui-même n’apporte rien, à moins que mon œil soit resté distrait. Un hasard historique, que ne viendra pas contrer le marché. où Koudelka reste rare et cher. La mise en scène demeure cette fois sobre. Claire. Efficace. Il n’y a pas trop d’images, de sorte que ces dernières peuvent respirer. Le format de l’exposition me semble en prime le bon. Il ne convient pas de gaver le visiteur au moment même où la chose se voit condamnée pour les oies. Mieux vaut que le public reparte avec un léger manque ressemblant à un appétit à satisfaire. Après tout, Koudelka pourrait donner matière à bien d’autres présentations à Lausanne. Il n’y avait par conséquent aucun besoin d’épuiser le sujet.

Une cascade qui fait l’affiche pour «D’après nature».

Le musée vaudois propose sa version de «D’après nature», l’exposition sur les débuts du 8e art en Suisse. Il y a des progrès par rapport à Winterthour

La Fotostiftung Schweiz a eu cinquante ans en 1971. Un jubilé qu’il s’agissait de célébrer. Une recherche devant mener à une exposition itinérante s’est donc vue entreprise sur les cinq premières décennies de la photographie en Suisse. Le médium y est arrivé immédiatement après sa révélation à Paris en 1839. En 1840 a même pu se tenir à Saint-Gall une exposition de daguerréotypes tenant de la première mondiale. La Confédération actuelle n’était pourtant pas née. Il faudra pour cela attendre 1848. Certaines villes, dont Genève, restaient par ailleurs entourées de leurs fortifications…

Deux ans de prospections

Martin Gasser et Sylvie Henguely se sont mis au travail. Le tandem a prospecté durant deux ans soixante collections publiques et privées. Des images argentiques ou des plaques peuvent se nicher partout, notamment dans les bibliothèques. Les deux commissaires ont effectué une ample moisson, qui allait précéder leur sélection. Cette dernière devait apparaître la bonne. Il s’agissait de donner une image flatteuse des débuts de la photo chez nous, tout en couvrant un large champ thématique, esthétique et géographique. Après une présentation à la Fotostiftung de Winterthour, le choix allait s’installer au LAC de Lugano et enfin à Photo Elysée. Avec un renouvellement partiel des œuvres, bien sûr! Les pièces réunies sont par essence fragiles et craignent la lumière.

Une famille photographiée par Detraz vers 1850.

A Winterthour, où «Nach der Natur» occupait fin 2021 plusieurs espaces du Fotomuseum, c’était le fouillis. La surcharge. Le dédale. Le visiteur, qui n’y comprenait que pouic, devait en plus regarder des réalisations de qualités pour le moins diverses. C’était à se demander si Martin Gasser et Sylvie Henguely ne s’étaient pas autant fourvoyés dans leurs choix esthétiques que dans l’articulation en sept points d’une exposition voulue thématique. Je n’ai pas vu la version tessinoise. A Lausanne, il s’agissait sinon de repenser la formule, du moins de limiter les dégâts. Je dois avouer qu’il y a de gros progrès par rapport à la mouture originale. Le visiteur peut en plus découvrir de belles images dont certaines, ironie du sort, auraient pu figurer dans la présentation précédente. Le développement du rail s’étant fait en parallèle avec celui de la photo, beaucoup de trains occupent les cimaises. Le déraillement de l’un d’eux en 1891 se révèle même particulièrement photogénique.

Un cycliste en studio selon Constant Delessert, vers 1860-1870.

Je ne dis pas que tout soit parfait. Photo Elysée doit encore apprendre à jouer avec un sous-sol ingrat. Le visiteur s’attend toujours à découvrir quelque part une chaudière à mazout. Des murs légèrement colorés donnent cependant un peu légèreté. L’accrochage apparaît aéré. Il évite de la sorte le côté poussiéreux qu’il possédait à Winterhour. L’amateur peut noter des noms de gens méritant à l’occasion une rétrospective pour eux seuls. Je pense à Auguste Garcin comme à Carl Durheim. Il risque en revanche de froncer un brin le sourcil en lisant la brochure d’accompagnement. Les deux commissaires (plus Peter Pfrunder) l’ayant rédigée y ont glissé beaucoup de morale «présentiste». Les artistes de 1850 ou de 1880 auraient selon eux dû produire avec nos critères de 2022: féminisme, respect de l’Autre ou absence de visée commerciale. Le tout écrit avec un ton pincé sentant l’instituteur pointilleux et la maîtresse d’école rancie…

Pratique

«Josef Koudelka, Ikonar», «D’après nature», Photo Elysée, 17, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 29 janvier 2023. Tél. 021 318 44 00, site www.elysee.ch Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h.