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Toulouse : faut-il interdire l’exposition de Guy Bourdin ?

Par Christian Authier - Publié le 01/07/2021 à 11h07 - Modifié le 26/04/2023 à 00h21
Photographie illustrant l'affiche de l'exposition de Guy Bourdin au Musée de l'affiche, © Guy Bourdin archives
Photographie illustrant l'affiche de l'exposition de Guy Bourdin au Musée de l'affiche, © Guy Bourdin archives

Une exposition consacrée au grand photographe Guy Bourdin, au Musée de l’affiche de Toulouse, suscite la colère d’associations féministes. 

On ne parle pas assez du Musée de l’affiche de Toulouse (le «Matou»), mais il se serait sans doute passé de la «publicité» entourant l’actuelle exposition consacrée au photographe français Guy Bourdin qui se déroule jusqu’au 28 août. En effet, des associations féministes dénoncent dans cette exposition des images dégradantes des femmes et une «culture du viol». Lors d’une manifestation devant le musée, mercredi 30 juin, l’affiche de l’exposition a d’ailleurs été taguée par cette dernière accusation.

Le choix de la liberté

Du côté de la mairie de Toulouse, qui avait consulté des associations féministes avant l’installation de l’exposition (deux photographies ont d’ailleurs été retirées en amont), on a décidé de la maintenir au nom de la liberté de la création. «Nous ne partageons pas la "cancel culture". Nous ne jetons pas les tableaux de David montrant les batailles napoléoniennes ou les livres de Socrate. La guerre, l'esclavage, les violences envers les femmes, c'est lamentable évidemment. Mais une œuvre est le témoignage d'une époque», a déclaré dans un communiqué Pierre Esplugas. Et l’adjoint chargé des musées à Toulouse de préciser : «Nous avons fait le choix de la liberté, de la responsabilité et du discernement des visiteurs. Chacune et chacun est libre, avec sa propre sensibilité, d’apprécier ou pas l’esthétique de l’artiste, d'interpréter, de manière positive ou négative, les œuvres présentées».

Qui était Guy Bourdin ?

Guy Bourdin (1928-1991) fut l’un des plus grands photographes de mode de son temps, collaborant notamment aux différentes éditions de Vogue (dont la française dont il devint le photographe fétiche durant trois décennies), à Harper’s Baazar ou à Photo. Il s’illustra également à travers ses campagnes publicitaires qui bousculèrent les conventions – privilégiant l’image au produit – et à l’instar d’un Helmut Newton il a créé un nouveau style. Ses œuvres ont été (et sont) exposées dans de prestigieux musées comme la Tate Modern et le Victoria & Albert Museum à Londres, la Galerie Nationale du Jeu de Paume à Paris, le Getty Museum à Los Angeles…

Influencé par le surréalisme et la pop culture, Bourdin se distingua par son sens de la provocation, la saturation des couleurs (emblématique des années 1980, notamment au cinéma et dans la publicité), son goût de l’étrange et une érotisation elle aussi reflet de son époque. Poses inattendues, corps fragmentés, stylisation extrême, références au théâtre de l’absurde : le photographe imposa ses thèmes et son style au cœur même d’une industrie de la mode et de la publicité soumise aux impératifs marchands. De nombreux photographes ont été profondément marqués par l’art de Guy Bourdin : de David LaChapelle à Jean-Baptiste Mondino en passant par Annie Leibovitz, Oliviero Toscani, Nan Goldin, Paolo Roversi, David Bailey, Terry Richardson, mais aussi des cinéastes ou des stylistes.  

«Positions lascives et explicites» 

Alors, choquantes, provocatrices, les photos de Guy Bourdin ? Peut-être, sans doute, selon la sensibilité de chacun. Mais personne n’est obligé de se rendre au Musée de l’affiche pour les voir et l’on peut aussi les considérer comme le témoignage d’une époque et de ses valeurs, tout en rejetant celles-ci. Depuis quasiment leur naissance, la mode et la publicité instrumentalisent le corps de la femme (ainsi que celui des hommes et des enfants). On peut le déplorer, le condamner, boycotter cette industrie au profit de vêtements ou de produits «éthiques», mais pas interdire ou appeler à la censure d’œuvres ou d’expositions. A moins de basculer dans un autre monde.

Une porte-parole de l’une des associations féministes mobilisées contre l’exposition consacrée à Guy Bourdin, citée par La Dépêche du Midi, déplore des «positions lascives et explicites». Eternelle croisade menée naguère par les pères de l’Eglise et aujourd’hui encore notamment par les fanatiques religieux. Et s’il faut bannir des galeries, des musées, des bibliothèques, des cinémathèques (liste non exhaustive) toutes les «positions lascives et explicites», la tâche va être immense. Une suggestion pour commencer : mettons une burqa à L’Origine du monde de Courbet… 


Écrit par Christian Authier
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