Rencontres de la photographie d’Arles 2022 : nos expositions coup de cœur

Depuis leur naissance, Les Rencontres de la photographie d'Arles 2022 s’affirment comme le lieu incontournable de la création actuelle et des pratiques photographiques.

Jusqu’au 25 septembre, à travers 40 expositions, Les Rencontres de la photographie d’Arles 2022 poursuit son engagement pour la reconnaissance des femmes, des enjeux climatiques et de la jeune génération artistique. Tour d’horizon des installations à voir absolument.

Photographie tirée du travail «Images-forêts: des mondes en extension» de la photographe Léa Habourdin.
Photographie tirée du travail «Images-forêts: des mondes en extension» de la photographe Léa Habourdin. Léa Habourdin

Comme l’évoque Christoph Wiesner, le directeur des Rencontres de la photographie d’Arles depuis 2021, « la photographie, les photographes et les artistes qui s’en emparent sont là pour nous rappeler ce que nous ne voulons ni voir ni entendre ». Le ton est donné pour cette 53e édition qui, à travers ses expositions, témoigne, critique et s’insurge contre les normes établies.

L’exposition « Une avant-garde féministe », sur la collection Verbund, avec la mise en perspective de pratiques performatives communes, prouve combien la création des femmes s’exerce sur tous les continents. La danse est à l’honneur à l’église Sainte-Anne avec le travail de la cinéaste et photographe franco-américaine Babette Mangolte, installée à New York depuis les années 70. Dans la salle Auguste-Comte, l’exposition consacrée à l’œuvre singulière de Bettina Grossman, décédée en novembre 2021 et révélée par Yto Barrada, dévoile une production protéiforme construite avec des photographies, des vidéos, des sculptures et du design textile.

Dans le cadre d’Arles Associé, il ne faut pas manquer, au parc des Ateliers, le photographe ghanéen James Barnor. Mais aussi Katrien De Blauwer, à Croisière, et Lionel Roux, au musée de la Camargue. Le Grand Arles Express, qui fait participer les institutions de la région aux Rencontres, propose les expositions de Léna Durr, au Centre d’art contemporain de Châteauvert, Mary McCartney, au château La Coste, Thomas Mailaender, au Centre photographique de Marseille, Nairy Baghramian, au Carré d’art de Nîmes, et Lucien Clergue, à la Maison de la photographie de Toulon.

Photographie de Bruno Serralongue tirée de la série Les gardiens de l’eau (Water Protectors), 2017, en cours.
Photographie de Bruno Serralongue tirée de la série Les gardiens de l’eau (Water Protectors), 2017, en cours. Bruno Serralongue

Pour supporter des pratiques éditoriales variées, le festival fidélise ses rendez-vous avec l’Arles Books Fair, orchestrée par France Photobook, et les prix du livre, soutenus par la Fondation Jan Michalski et le Dummy Book Award. Enfin, cette édition rend hommage au scénographe Olivier Etcheverry, décédé cette année, qui a accompagné l’événement pendant vingt ans et contribué à son succès en scénographiant à travers des installations atypiques des lieux souvent oubliés.

> Rencontres-arles.com


Hommages aux femmes

De la photoreporter Lee Miller aux féministes des années 70 en passant par la cinéaste expérimentale Babette Mangolte le festival Les Rencontres de la photographie d’Arles 2022 met en avant les femmes artistes. Passionnant.

Les féministes avant-gardistes

Francesca Woodman. Visage, Providence, Rhode Island, 1975-1976.
Francesca Woodman. Visage, Providence, Rhode Island, 1975-1976. The Woodman Family Foundation / Artists Right Society (ARS) / Bildrecht / Verbund Collection

À partir des travaux de 64 artistes, cette exposition présenté aux Les Rencontres de la photographie d’Arles 2022 retrace une histoire des pratiques avant-gardistes féministes. Présenté en cinq thématiques, le parcours illustre les revendications des années 70, portées par des femmes qui reprennent le contrôle de leur image à travers la photographie, la vidéo et la performance. Le panorama enchaîne découvertes et redécouvertes parmi lesquelles Birgit Jürgenssen et les figures historiques que sont Helena Almeida, Ana Mendieta, Annette Messager, Cindy Sherman, Orlan ou Martha Wilson. Les performances de la photographe américaine Francesca Woodman (Face, Providence, Rhode Island, photo) dévoilent, s’il en est besoin, combien sa pratique artistique autour de l’autoportrait, avec une capacité à s’échapper du cadre et à se dissoudre dans l’image, continue d’influencer la jeune génération.

> « Une avant-garde féministe – Photographies et performances des années 1970 de la collection Verbund, Vienne », à la Mécanique générale.

Le mouvement et la danse par Babette Mangolte

Babette Mangolte. Trisha Brown répète « Line-up » dans son loft de Broadway, 1977.
Babette Mangolte. Trisha Brown répète « Line-up » dans son loft de Broadway, 1977. Babette Mangolte

Figure emblématique du cinéma expérimental, la Franco-Américaine Babette Mangolte (1941-) est installée à New York depuis les années 70 où elle a documenté la scène chorégraphique et performative. La cinéaste et photographe – elle fut directrice de la photographie pour Chantal Akerman et Yvonne Rainer – a développé un langage artistique fondé sur la subjectivité de la caméra, plaçant le spectateur dans le dispositif, et sur la relation du corps humain à l’espace. De Trisha Brown (photo) à Lucinda Childs, danseuses et chorégraphes, Mangolte a participé à la définition et à la construction d’une archive de la performance. Son premier long-métrage, What Maisie Knew, lui vaut le prix de la lumière au Festival du film de Toulon, en 1975. Le prix Women in Motion 2022 qui lui est décerné à Arles vient récompenser une riche carrière vouée à la reconnaissance de l’art performatif.

> « Babette Mangolte – Capter le mouvement dans l’espace », à l’église Sainte-Anne.

Mannequin et photographe de guerre

Lee Miller. Femmes accusées d’avoir collaboré avec les nazis, Rennes, France, 1944.
Lee Miller. Femmes accusées d’avoir collaboré avec les nazis, Rennes, France, 1944. 2022.

Parcours fascinant que celui de Lee Miller (1907-1977). Née dans la haute société américaine, après une enfance volée, elle décide de rejoindre Paris et deviendra la muse de Man Ray avec qui elle apprend la photographie et invente la solarisation. Elle souhaite pourtant autre chose et accompagnera David Scherman pour le magazine Life pendant la Seconde Guerre mondiale. Seule femme sur le terrain, elle documente le Blitz, Dachau libéré, la maison de Hitler et sa fameuse baignoire. L’exposition proposée au sein du festival Les Rencontres de la photographie d’Arles 2022 se concentre sur les années les plus intenses de son riche parcours professionnel. Entre 1932 et 1945, Miller est à la fois portraitiste – à la tête de son propre studio de prises de vue à New York –, photographe de mode (Chapeaux Pidoux, photo) et de publicité pourdes marques de parfum ainsi que photoreporter de guerre, naviguant avec aisance d’un milieu à l’autre.

> « Lee Miller – Photographe professionnelle (1932-1945) », à l’Espace Van-Gogh.


Génération milléniale

Fidèles à leur volonté de soutien à la jeune création, Les Rencontres de la photographie d’Arles 2022 poursuivent leurs multiples collaborations qui permettent de faire émerger une nouvelle scène internationale. Le prix découverte Louis Roederer, celui du Photo Folio Review et la sélection de trois diplômés de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles sont des moments forts du festival.

L’espace du corps

Gaëlle Delort. Aven des Offraous, Causse Méjean, 2021.
Gaëlle Delort. Aven des Offraous, Causse Méjean, 2021. Gaëlle Delort

Les travaux sélectionnés parmi ceux des diplômés de l’École nationale supérieure de la photographie par un jury incluant la directrice de l’école, Marta Gili, et le directeur des Rencontres, Christoph Wiesner, interrogent la relation du corps à son environnement. Cassandre Colas (1995-) capte des espaces de vie urbaine et la manière dont les corps habitent ces lieux de transition. Dans la série « Avens » (Aven des Offraous, causse Méjean, photo), de Gaëlle Delort (1988-), on parcourt les plateaux calcaires de la région des Grands Causses, dans le Massif central. Ces gouffres deviennent des seuils où le paysage bascule. Enfin, Maxime Muller (1997-) a réalisé un travail en argentique intitulé Dystopia IV : Pallas sur les relations sensibles entre la communauté queer et la pandémie de Covid-19, ou comment, avec la fermeture des endroits festifs, les modes d’interactions ont été modifiés. Trois pratiques différentes pour une thématique commune. À découvrir durant Les Rencontres de la photographie d’Arles 2022.

> « Cassandre Colas, Gaëlle Delort, Maxime Muller – Une attention particulière », à Ground Control.

Le prisme de l’intime  

Daniel Jack Lyons. Wendell travesti, juillet 2019, série Comme une rivière (à gauche) / Crocodile domestique, août 2019, série Comme une rivière (à droite).
Daniel Jack Lyons. Wendell travesti, juillet 2019, série Comme une rivière (à gauche) / Crocodile domestique, août 2019, série Comme une rivière (à droite). Daniel Jack Lyons

Le prix découverte Louis Roederer distingue à la fois un artiste et la structure (galerie, association, centre d’art…) qui le soutient par une dotation de 15 000 €, à valoir sous la forme de l’acquisition d’une œuvre. Cette reconnaissance de l’institution récompense donc le patient exercice de défrichage, indispensable à l’émergence de nouveaux talents. Est aussi décerné un prix du public à travers une acquisition d’une valeur de 5 000 €. En 2022, la commissaire qui accompagne les dix artistes internationaux exposés est l’historienne de la photographie Taous R. Dahmani, dont les travaux montrent comment ce médium peut être une action politique. De fait, les dix sélectionnés (Wendell in Drag, de Daniel Jack Lyons, photo) ont tous en commun une œuvre intimiste (deuil, représentation de soi, question de genre…), qui vise néanmoins à une réflexion plus universelle sur la place qu’occupent la culture et la pression sociale dans nos vies. 

> « Prix découverte Louis Roederer 2022 », à l’église des Frères prêcheurs.

Hongkong : état des lieux

Pierfrancesco Celada. Série Quand je suis triste, je prends un train pour la vallée du bonheur, Hong Kong, 2014.
Pierfrancesco Celada. Série Quand je suis triste, je prends un train pour la vallée du bonheur, Hong Kong, 2014. Pierfrancesco Celada

Depuis 2006, Photo Folio Review propose des lectures de portfolios par des experts, sous forme d’échanges individuels. Ces rendez-vous aboutissent à des projets d’exposition, d’acquisition ou de publication. Le lauréat 2021, Pierfrancesco Celada, est né en 1979 à Varèse, en Italie, mais vit depuis 2014 à Hongkong. C’est pour sa série sur cette ville « Quand je suis triste, je prends un train pour la vallée du bonheur » (photo) qu’il a été récompensé. Le jeune homme livre un état des lieux de cette mégapole confinée, entourée d’eau et de nature sauvage, où les inégalités socio-économiques se creusent. Il le rappelle ainsi : « Les deux événements majeurs de son histoire récente, la révolution des parapluies de 2014 et les manifestations de 2019, ont attiré l’attention des médias internationaux, mais ils ont aussi contribué à diviser davantage l’opinion, aggravant la crise identitaire durable que connaît la ville. »

> « Lauréat Photo Folio Review 2021. Pierfrancesco Celada. Quand je suis triste, je prends un train pour la vallée du bonheur », à Croisière.


Engagez-vous !

Explorer et témoigner demeure au centre des attentions des Rencontres d’Arles. La nature humaine et la nature tout court restent au cœur des préoccupations de nombreux artistes. Léa Habourdin, Bruno Serralongue et Mitch Epstein, trois d’entre eux, évoquent les luttes menées pour protéger l’intégrité de l’environnement tout en visitant d’autres cultures.  

Les forêts primaires 

Léa Habourdin. Images-forêts : des mondes en extension, sérigraphie, pigments d’écorce de chêne et de charbon.
Léa Habourdin. Images-forêts : des mondes en extension, sérigraphie, pigments d’écorce de chêne et de charbon. Léa Habourdin

Léa Habourdin (1985-) a d’abord étudié l’estampe à l’école Estienne puis la photographie à l’École nationale supérieure de la photographie. Sa pratique interroge d’autres manières d’entrer en résonance avec le monde. Attentive à la diversité des formes de vie, elle découvre par la presse le triste constat de la disparition des forêts primaires en France métropolitaine. Celles qui survivent sont celles qui, au cours des dernières décennies, n’ont pas subi de trop forte influence de la part de l’homme. Pendant deux ans, la photographe a documenté les forêts protégées, accompagnée de forestiers et de conservateurs. Elle a réalisé ensuite des tirages à base de chlorophylle photosensible des végétaux complétée de pigments de plantes fabriqués artisanalement. L’image créée, un anthotype (photo), procédé inventé en 1842, révèle le mirage d’une forêt primaire.

> « Léa Habourdin – Images-forêts : des mondes en extension », à Croisière.

L’anti-reporter

Bruno Serralongue. Dakota du Sud, 21 août 2017, série Les gardiens de l’eau (Water Protectors), 2017, en cours.
Bruno Serralongue. Dakota du Sud, 21 août 2017, série Les gardiens de l’eau (Water Protectors), 2017, en cours. Bruno Serralongue

Bruno Serralongue (1968-) continue de faire état des conditions de vie de migrants, des figures de l’engagement connues ou méconnues et des grandes luttes à travers le monde. Diplômé de l’École nationale supérieure de la photographie puis de la Villa Arson, il commence à « couvrir » des événements dès 1993, se rendant après coup à l’endroit où se sont produits des faits divers. S’il emprunte certains mécanismes du photojournalisme, il s’intéresse avant tout aux coulisses, à la périphérie de l’information. Comme en témoigne sa série « Les Gardiens de l’eau » (photo), qui traite du démantèlement dans le Dakota du Nord, aux États-Unis, du camp Oceti Sakowin, dressé par les Sioux en 2016 pour s’opposer à l’enfouissement sous le fleuve Missouri du Dakota Access Pipeline. Serralongue documente la lutte de la population vivant dans la réserve jusqu’à la suspension des travaux par Obama… puis leur reprise par Trump.

> « Bruno Serralongue – Les Gardiens de l’eau », au Jardin d’été.

Voyages en Inde

Mitch Epstein. Shravanabelagola, Karnataka, Inde, 1981.
Mitch Epstein. Shravanabelagola, Karnataka, Inde, 1981. Mitch Epstein

L’Américain Mitch Epstein (1952-) présente un ensemble de tirages inédits, réalisés en Inde entre 1978 et 1989. Alors marié à la cinéaste indienne Mira Nair, Epstein découvre une culture complexe à la faveur de huit voyages dans ce pays. À travers sa vie de famille indienne et son travail, il était à la fois un initié et un étranger. Ce qui lui a permis d’appréhender, de l’extérieur comme de l’intérieur, cette société pétrie de traditions, où le système de castes dicte presque tous les aspects de la vie religieuse et sociale. Via un cabaret de strip-tease, le Royal Bombay Yacht Club, des plateaux de tournage ou des pèlerinages hindous et musulmans, l’installation de l’abbaye de Montmajour expose quelques tirages récents de cette production (Shravanabelagola, Karnataka, photo) ainsi que deux des films de Mira Nair, auxquels Mitch Epstein a collaboré : India Cabaret (1985) et Salaam Bombay! (1988).

> « Mitch Epstein – En Inde. 1978-1989 », à l’abbaye de Montmajour.